Robot, l’amour éternel
Le Centquatre-Paris / chor. Kaori Ito
Publié le 24 mars 2018 - N° 264Avec Robot, l’amour éternel, la danseuse et chorégraphe Kaori Ito poursuit son travail autofictif. Avec poésie et dérision, elle y explore son quotidien d’artiste. Sa routine voyageuse.
Avec La religieuse à la fraise (2014), créé au Festival d’Avignon avec Olivier Martin Salvan dans le cadre des Sujets à Vif, Kaori Ito entamait une série d’autofictions chorégraphiques où elle met son corps et sa pratique artistique à l’épreuve de l’Autre. De son père, le sculpteur Hiroshi Ito, dans Je danse parce que je me méfie des mots (2015), puis de son compagnon Théo Thouvet dans Embrase-moi (2017). Dans Robot, l’amour éternel, créé en janvier 2018 et présenté entre autres au Théâtre de Châtillon en ouverture du festival MARTO !, la danseuse et chorégraphe ose de nouveau affronter la solitude du plateau. Ce qu’elle faisait déjà dans Plexus (2012), où Aurélien Bory la mettait en scène au milieu d’un cube tissé d’une multitude de fils transparents. Selon une esthétique de l’ombre très librement inspirée du fameux essai de Junichirô Tanizaki. Depuis ce solo, l’interprète prodige a su se construire un chemin personnel, nourri de ses expériences avec des chorégraphes et metteurs en scène majeurs, tels que Philippe Decouflé, Angelin Preljocaj ou James Thierrée. Elle n’en exprime pas moins, dans Robot, l’amour éternel, l’intranquillité qu’on lui connaît. L’angoisse qui fait de son travail sur l’intime un seuil possible vers une réflexion sur l’époque. En interrogeant la vitesse et les répétitions qui constituent son quotidien d’artiste, l’artiste livre un subtil autoportrait de chair et de plastique.
Portrait de l’artiste en machine
Pour se dévoiler, Kaori Ito avance voilée. Ou plutôt, étouffée. D’abord invisible, c’est en effet de sous une grande bâche en plastique qu’émerge la danseuse. Le visage à demi recouvert d’un masque à la blancheur mortuaire, parmi des moules de différentes parties de son corps réalisés par Aurore Thibout et Erhard Stiefel, elle compose un paysage inerte. Une sorte d’apocalypse stylisé, dont la géométrie et la modernité contrastent avec la mélodie classique qui accompagne son apparition. Son épiphanie désenchantée. À peine sortie de l’une des cavités du praticable blanc qui occupe la quasi-totalité de la scène, l’artiste se lance en effet dans une gestuelle à la raideur mécanique. Quelque part entre celle de l’androïde et du robot. Avec en plus, par moments, la trace d’un étonnement ou l’esquisse d’une révolte. Si, dans Robot, l’amour éternel, la femme et la machine s’affrontent, elles le font en catimini. Avec élégance. Sans verser dans le narcissisme, ni dans la lourdeur démonstrative qui menace toute création centrée sur la mécanisation de l’individu. Rythmé par des extraits pleins d’autodérision du journal intime de Kaori Ito prononcés par l’application d’Iphone Siri, le spectacle offre une subtile réflexion sur la solitude et la mort à l’ère du 2.0.
Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Robot, l’amour éterneldu mardi 3 avril 2018 au samedi 7 avril 2018
Le 104
9 rue Curial, 75019 Paris, France
à 19h.
Tel : 01 53 35 50 00. www.104.fr.
Également du 9 au 12 mai et du 15 au mai à l’Association pour la Danse Contemporaine à Genève, et les 25 et 26 mai à la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines.