Mal(e)
Trois acrobates et un homme politique [...]
Après le remarquable Une Heure en ville, Frédéric Constant passe de Kafka à Dostoïevski en portant à la scène un monologue issu des Frères Karamazov. Une rêverie incarnée par la comédienne Catherine Pietri.
« Une proposition artistique qui ressemble plus à un écho, à une rêverie de l’œuvre d’origine, qu’à sa représentation. »
Pour quelles raisons adaptez-vous si souvent au théâtre des œuvres romanesques ?
Frédéric Constant : Je crois que la prétentieuse ambition de mon travail est de vouloir raconter le monde. C’est une ambition inatteignable parce que la vision que j’ai du monde est parcellaire et fragmentée. Pour construire mes spectacles, j’opère donc un éternel aller-retour entre le particulier et l’universel. Les œuvres romanesques, surtout quand elles sont vastes, m’offrent une première “réduction du monde” qui circonscrit mon champ d’investigation. De la foule de détails et d’événements qui composent le récit, je vais pouvoir façonner une proposition artistique qui ressemble plus à un écho, à une rêverie de l’œuvre d’origine, qu’à sa représentation.
Qu’est-ce qui retient particulièrement votre attention dans Les Frères Karamazov ?
Fr. C. : Dans cette œuvre, je trouve, peut-être à tort, une même volonté de raconter le monde à travers le prisme d’une saga familiale, ou, plus précisément, des événements autour de la mort d’un père de famille dans une ville de province, en Russie. A partir de ce “fait divers”, Dostoïevski nous parle de Dieu et du diable, des hommes et des femmes, de leur lâcheté et de leur courage, de la violence, de l’amour, de la rédemption, de la foi et de l’absence de foi, de l’injustice et du pardon, de la mort, de la difficulté de vivre, de la folie, de la révolte, de la grandeur et des bassesses… Autant de thèmes passionnants et essentiels pour lesquels Dostoïevski n’apporte pas une réponse, rassurante et facile, mais convoque, et c’est ce qui me semble essentiel dans une œuvre d’art, une foule de questions.
Après le cadre déambulatoire de Une Heure une ville, quel rapport au public Le Petit Oignon instaure-t-il ?
Fr. C. : Pour ce spectacle, le public est convoqué en témoin. Il assiste à la confession d’un personnage du roman, Grouchenka. Sa part de vérité se révèle à travers la brume de ses contradictions, de ses affirmations et de ses manques.
Comment pourriez-vous caractériser ce personnage ?
Fr. C. : Grouchenka est le personnage dévoyé du roman. Abusée par un militaire polonais dans sa jeunesse, elle a acquis de cette expérience malheureuse un certain cynisme qui a fait d’elle une femme d’argent sans scrupule. Sa rencontre avec Dimitri Karamazov va opérer en elle un changement radical. L’amour est une révélation qui lui ouvre de nouveaux horizons.
Pourquoi avez-vous choisi d’investir ce roman à travers le prisme de ce seul personnage ?
Fr. C. : C’est Philippe Honoré qui a eu l’idée de ce projet. Il en signe d’ailleurs l’adaptation. Face à la profusion de personnages, nous avons voulu centrer le spectacle sur la parole directe d’un seul protagoniste, d’un témoin clé. Et Grouchenka nous est apparue comme le témoin le plus emblématique du roman.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Trois acrobates et un homme politique [...]