Roberto Alagna : Ténor de classe mondiale et gars de banlieue
FESTIVAL DE SAINT DENIS
Publié le 7 juin 2021 - N° 290
Le grand Ténor français ouvre le festival de Saint-Denis et chante dans la prestigieuse Basilique, à quelques kilomètres de Clichy-sous-Bois où il est né et où il a grandi. Sous la direction de David Giménez à la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France, Roberto Alagna interprètera l’Ave Maria de Franz Schubert, le Panis angelicus de César Franck et des extraits du Cid de Massenet et de Lohengrin.
Votre premier concert au festival de Saint-Denis va vous ramener à votre enfance car vous êtes né à quelques kilomètres de là…
Roberto Alagna : Quand on pense à la banlieue et surtout à la Seine-Saint-Denis, on ne pense pas forcément à l’opéra ni à la musique classique. C’est pour cela que je suis vraiment ravi de chanter à la basilique de Saint-Denis ! Et moins d’un an plus tard, je chanterai au Stade de France ! Cela va être une saison incroyable pour moi au cours de laquelle la Seine-Saint-Denis sera vraiment mise à l’honneur ! Et je suis ravi car je suis un enfant du pays. Quand j’étais adolescent je n’aurai pu imaginer chanter de la musique classique dans cette région… Cela représente pour moi une grande dimension symbolique. On sent que les choses ont bougé.
Chanter à la Basilique, c’est revenir en Seine-Saint-Denis par la grande porte…
Roberto Alagna : Surtout après cette pandémie où l’on a tous ressenti la nécessité de « garder la foi »… En chantant dans une Basilique, on touche forcément au spirituel et au religieux. Cela sera très touchant de chanter dans un endroit si spécial et chargé d’émotions. On peut vraiment vivre la musique comme une prière dans un tel endroit.
Vous êtes né à Clichy-sous-Bois ?
Roberto Alagna : Oui et c’est aussi là que j’ai grandi, dans une banlieue où il n’y avait pas grand-chose à faire. On vivait dans un petit coin pavillonnaire tranquille, pas vraiment dans les cités. L’ambiance était celle d’un village, avec beaucoup de familles issues de l’immigration. Tout le monde s’aimait et s’entendait bien. Il y avait des cafés, on jouait au baby-foot ou on allait jouer au foot sur un terrain dans le quartier. Ensuite, on se retrouvait pour discuter entre jeunes, et puis bien sûr on prenait les guitares et on chantait. Il n’y avait pas beaucoup d’autres distractions, pas de cinéma ni de salles de concerts. Mais on était heureux.
« La richesse humaine, c’est le contact avec l’autre. »
Quel regard portez-vous sur l’évolution des banlieues ?
Roberto Alagna : Lorsque j’étais adolescent j’avais beaucoup d’amis qui étaient issus de l’immigration, d’origine maghrébine et autres. À l’époque, je pense que la religion était moins présente. Aujourd’hui, même si je reviens de temps en temps voir mes parents qui sont toujours là, je ne vis plus dans ces quartiers. Je ne peux donc pas vraiment en parler. Mais je suis toujours resté ce gars de banlieue avec une sorte de respect de mon prochain. Je parcours le monde depuis pas mal d’années maintenant mais étant parti d’ici, je crois que cela m’a permis de garder les pieds sur terre. Je ne fais pas de différence entre les personnes, quelles que soient leurs classes sociales. Je m’adresse de la même façon à un accessoiriste dans un théâtre et à un Président la république. J’ai toujours aimé aller vers l’autre, cultiver une proximité avec les gens. Je me suis aperçu que c’est dans la nature humaine : souvent il suffit d’aller vers l’autre et de parler pour que de nombreux problèmes s’écroulent. Aller au contact de l’autre est essentiel. On l’a bien senti avec la pandémie. La richesse humaine, c’est le contact avec l’autre. En fait, je n’ai pas beaucoup changé. J’ai toujours gardé les mêmes principes et les mêmes valeurs.
Quels sont les rendez-vous que vous attendez avec le plus d’impatience pour cette saison qui va commencer ?
Roberto Alagna : Après le Festival de Saint-Denis, il y aura d’abord le Samson à Orange car c’est mon grand retour dans cet endroit que j’adore. Et y revenir dans ce rôle, c’est formidable… Et bien sûr, le Stade de France en fin de saison, événement que j’attends depuis si longtemps. Entre-temps, j’espère que le Metropolitan va rouvrir lui aussi. Cela fait deux ans qu’on n’y chante plus… C’est une maison où je me produis tous les ans depuis 1996 et j’ai hâte d’y retourner ! Je devrais y chanter Tosca, avec Aleksandra Kurzak, mon épouse. Et puis aussi une autre œuvre de Puccini dont je ne peux pas encore parler pour l’instant. J’attends aussi mon retour à la Scala dans Fedora, et aussi la reprise d’une production de Lohengrin que j’ai faite l’année dernière au Staatsoper Unter den Linden de Berlin.
Une saison très chargée s’annonce !
Roberto Alagna : Il va falloir gérer parce qu’à cause de cette pandémie, je me suis aperçu que c’était bien de lever le pied et de profiter de la vie de tous les jours. De la famille, des enfants, des amis… D’avoir une vie normale que je n’ai jamais eue. Moi qui pensais ne pas être capable de la supporter, qui en avais un petit peu peur, je m’aperçois que j’aime bien aussi la vie normale ! J’ai envie de moins courir les théâtres et de mieux gérer l’équilibre entre ma vie privée et ma vie professionnelle. Cette période a été une belle leçon pour moi : moi qui me disais toujours que le jour où j’allais m’arrêter serait une catastrophe, je me suis aperçu que ce n’était pas du tout le cas. Et qu’aller faire ses courses peut être très agréable !
Propos recueillis par Jean-Luc Caradec
A propos de l'événement
Entretien Roberto Alagnadu jeudi 10 juin 2021 au jeudi 10 juin 2021
Basilique de Saint-Denis
1 rue de la Légion d'Honneur, 93200 Saint-Denis.
Tél. 01 48 13 06 07. festival