La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Richard Brunel

Richard Brunel - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Publié le 10 octobre 2011 - N° 191

La justice, mode d’emploi

Richard Brunel met en scène Les Criminels, de Ferdinand Bruckner, qui dévoile l’intimité d’une microsociété hiérarchisée, unifiée par le sexe et l’argent, et interroge son rapport à la justice.

Trois étages et une foule de personnages… Comment raconter cette histoire ?
Richard Brunel : Ce qui est paradoxal, c’est que c’est complexe à raconter mais que c’est clair à regarder ! La pièce de Bruckner est construite un peu comme un scénario d’Altman, les choses apparaissant plus simplement au fur et à mesure qu’on les raconte. Bruckner invente l’histoire d’un immeuble dont tous les habitants ont l’occasion de transgresser la loi. Quand les procès ont eu lieu et que la société a assaini la société, on retrouve l’immeuble transformé et modernisé, et on s’aperçoit que ce sont les plus cyniques qui s’en sont sortis.
 
S’agit-il donc, dans cette pièce, de faire le procès de la justice ?
R. B. : Non. La question que pose Bruckner est la suivante : qu’est-ce qu’une justice qui fait son travail ? Il échappe au piège facile du procès de la justice. Il fait essentiellement un acte de théâtre et met en évidence la parenté entre la justice et le théâtre : comment la parole peut être performative, devenir un spectacle, comme le rituel de la justice a à voir avec le rituel du théâtre, c’est-à-dire, dans les deux cas, avec le rituel du sacré. C’est une pièce sur le temps, une Zeitstücke, dit-on, en allemand, presque une pièce documentaire. En travaillant, nous avons regardé les films de Depardon : on y retrouve la même vulnérabilité, la même fébrilité que dans la pièce. Le premier et le troisième acte sont inscrits dans une dimension fictionnelle, mais le deuxième acte, celui des procès, se retrouve dans un lieu qui appelle le théâtre mais devient réel. Il y a dans cet acte une simplicité et une puissance de ces petites répliques qui mettent les personnages en demeure de dire la vérité même s’ils mentent. Ce qui est beau dans cette pièce, c’est la manière dont l’humain est questionné de façon essentielle, à la fois philosophique, morale et sociologique. Ce qui est très intéressant aussi, tient à la manière dont les personnages franchissent la frontière entre l’acceptable et l’illicite. Bruckner traite du fonctionnement de la justice en examinant des cas particuliers, et non pas de manière générale : l’enjeu est de parvenir à entrer dans le point de vue de chaque personnage. Bruckner est le pseudonyme de Theodor Tagger : on pensait à l’époque qu’ils étaient plusieurs à écrire sous ce seul nom, un homme de théâtre, un psychanalyste et un juriste, tellement son analyse du monde de la justice est fine et précise !
 
« Qu’est-ce qu’une justice qui fait son travail ? »
 
Quelle mise en scène pour cette pièce ?
R. B. : Quand on lit la pièce, on découvre les trois étages de l’immeuble. Avec la scénographe, Anouk Dell’Aiera, nous avons imaginé trois tournettes concentriques qui organisent trois plans, ce qui fait qu’on peut assister à trois scènes en une. On est à l’horizontal, à l’instar d’un procédé cinématographique, et non pas selon une coupe verticale qui dévoilerait la façade de l’immeuble. Ce dispositif scénique permet de rendre cet aspect très frappant de la pièce : un mouvement circulaire continu animé par des comportements archétypiques très différents. Bruckner a eu l’intelligence de faire cohabiter différents rapports au monde dans sa pièce, et c’est la complexité de cet ensemble, qu’on appelle une société, qu’il faut réussir à montrer.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Les Criminels, de Ferdinand Bruckner ; traduction Laurent Muhleisen ; mise en scène Richard Brunel. Du 11 au 19 octobre 2011, à 20h. Comédie de Valence, place Charles-Huguenel, 26000 Valence. Tél :  04 75 78 41 71.

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