Ivresse et poésie
Comédien et marionnettes découvrent les arcanes de la drogue dans Opium, librement inspiré des Paradis artificiels de Baudelaire et interprété par Redjep Mitrovitsa et Ezéquiel Garcia-Romeu.
« Ezéquiel m’a proposé de travailler avec lui et m’a ainsi offert de revenir à un livre qui avait bercé mon adolescence et dont j’avais des souvenirs vifs et précis. A partir des confessions de Thomas de Quincey, procède la parole de Baudelaire et c’est de son discours que je suis détenteur sur scène. La présence marionnettique permet des appuis, rendant l’histoire parfaitement intelligible et poétique. Une marionnette est une sorte de chose qui semble à l’affut, comme un enfant ou comme un chat : son existence est extrêmement forte et Ezéquiel donne aux siennes une vie propre qui excède tout ce qu’on peut attendre ! C’est une aventure très heureuse de jouer avec lui et puis, il y a la langue de Baudelaire ! Le fil du récit est assez simple même si le texte est riche en complexités : Baudelaire expose son sujet, vante les douceurs et les joies de l’opium pour ensuite montrer les douleurs de sa torture. J’avais oublié à quel point ce texte est moral ! J’avais conservé le souvenir d’une poésie noire et sulfureuse sur un sujet tabou mais Baudelaire, plus encore que Thomas de Quincey, est loin de faire l’éloge de cette drogue.
La phrase de Baudelaire fait événement et décor
Il dit ce qu’il y a de plus tentateur, joyeux, excentrique dans cette expérience mais on suit celui qui s’y livre pour mieux comprendre que c’est une abdication de la vie, de la liberté et de la création. Celui qui est en prise avec l’opium ne peut plus réfléchir ni produire. Passer ce pacte faustien avec l’opium, c’est se priver de jouir du labeur de la création : à vouloir brûler les étapes, on brûle son âme. L’opium galvanise des choses qui refont surface avec une telle force indomptable et affreuse que c’en est cauchemardesque : c’est une atteinte à ce que Baudelaire considérait comme la valeur la plus essentielle de l’existence humaine, la volonté. Ezéquiel a créé un dispositif scénique comme un grand livre des apparitions marionnettiques qui accompagne l’essentiel de ce spectacle qui est le style de Baudelaire. Il y a une telle profusion d’images à l’intérieur de ce qu’il dit qu’il n’est pas utile d’entrer en concurrence avec elles. Il faut seulement faire en sorte que ces images parviennent à l’esprit du spectateur : ce qui fait événement et décor, c’est la phrase de Baudelaire. »
Opium, librement inspiré des Paradis artificiels, de Charles Baudelaire, adaptation de Marion Bottolier et Ezéquiel Garcia-Romeu ; mise en scène d’Ezéquiel Garcia-Romeu ; avec Redjep Mitrovitsa et Ezéquiel Garcia-Romeu. Les 1er, 3, 8 et 11 avril à 20h. Le Grand Parquet, 20bis, rue du Département, 75018 Paris. Réservations au 01 40 05 01 50.