Récits d’un fracassé de guerre
CRITIQUE
LA GIRANDOLE
Texte Ascanio Celestini / mes Luciano Travaglino
Publié le 26 novembre 2012 - N° 204
Dans le cadre du Festival Montreuil-Roma, Luciano Travaglino donne vie avec simplicité et évidence à ce récit d’Ascanio Celestini, où la mémoire d’un fils laisse surgir le cauchemar absurde de la guerre.
Au théâtre de la Girandole à Montreuil, scène obstinée, exigeante, conviviale et accueillante, on ne vient pas voir un spectacle, consommer une œuvre comme un goûter vite avalé, on vient partager en compagnie des artistes un moment de transmission, un moment de création théâtrale qui nous est adressé. Le théâtre a initié un Festival ponctué de spectacles et de temps d’échanges, Montreuil – Roma, non è pericoloso sporgersi, qui met en lumière un auteur méconnu en France, Ascanio Celestini, figure de proue du théâtre-récit en Italie, théâtre où l’enquête documentaire et le recueil de témoignages sont passés au filtre de l’imaginaire et de l’humour. Un humour italien, c’est-à-dire à la fois tendre et féroce, empreint de dérision, d’ironie et d’amertume amusée bien que désespérée. Récits d’un fracassé de guerre se fonde sur le témoignage du père de l’auteur et explore le chaos de la libération de Rome en juin 1944. Seul en scène, Luciano Travaglino, acteur, metteur en scène et fondateur de la compagnie La Girandole avec Félicie Fabre, installe le récit dans une chambre d’hôtel et laisse affleurer la mémoire dans ce lieu impersonnel. La mémoire d’un fils devenu conteur évoquant son père et sa famille, fils âgé d’à peine une dizaine d’années au moment de la guerre. Cette mémoire personnelle qui réinvente les rapports entre fiction et réalité entrecroise plusieurs histoires et personnages, débusque d’étonnants échos et résonnances, met à jour des motifs récurrents, revisite le réel en flirtant avec l’absurde et le surréaliste.
Non-sens et cruauté
Une seule certitude : la vie ne tient qu’à un fil lorsque les hommes basculent dans l’horreur et l’aberration quasiment loufoque de la guerre. On peut par exemple se baisser pour ramasser un petit oignon et éviter ainsi une rafale de balles tirées par un « bras sec sec maigre maigre ». La quête d’un cochon bien trop cher ou bien trop maigre, le périple d’un barbier aux mains belles, celui d’un jeune soldat allemand, dont la tache sur le visage « faisait peur ou rire », le destin d’une mouche ou d’un singe… L’enfant affabule et raconte un monde cruel plus proche du cauchemar que du rêve, un monde fracassé où les identités se diluent, se brouillent, où la mort rôde sans cesse. Les références à l’Histoire demeurent allusives et indirectes, ce qui fait sens est la mise en lumière du non-sens et de la cruauté de la guerre, lorsque les hommes s’adonnent au pire, plus que la mise en lumière du réel et de l’Histoire. Luciano Travaglino donne vie à ce récit avec simplicité et évidence, il fait confiance à l’imaginaire que déploie le texte, dans une mise en scène sobre et dépouillée, et il rappelle à chacun d’entre nous l’importance de cultiver sa mémoire personnelle.
Agnès Santi
A propos de l'événement
du jeudi 8 novembre 2012 au jeudi 15 novembre 2012Théâtre de la Girandole
4 rue Edouard Vaillant, 93100 Montreuil.
Du 8 novembre au 15 décembre en alternance avec Lutte de Classes du même auteur. Dans le cadre du Festival Montreuil-Roma. Tél. : 01 48 57 53 17.