La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Raphaëlle Delaunay

Raphaëlle Delaunay - Critique sortie Danse
Légende photo : Bitter Sugar, la nouvelle création sucrée-amère de Raphaëlle Delaunay.

Publié le 10 janvier 2010

Bitter Sugar : comment se réapproprier la danse jazz

La nouvelle création de la chorégraphe et danseuse Raphaëlle Delaunay réunit à Suresnes et à Vanves danseuses hip hop et danseuses contemporaines. Elles s’emparent de tout un pan de l’histoire de la danse jazz, se jouent des influences pour en extraire l’essence.

Bitter Sugar est un coup de projecteur sur les danses noires afro-américaines. Pourquoi ce choix ?
Raphaëlle Delaunay : Je suis tombée par hasard sur une séquence d’un film qui s’appelle Hellzapoppin où l’on voit des danseurs de lindy-hop qui dansent à toute vitesse et font des choses absolument démentes. Au-delà de la virtuosité, j’ai cherché à savoir ce qui ce cachait derrière. Si on contextualise, l’histoire de la ségrégation fait surface, et ce qui m’a fait plonger complètement dans cette histoire du jazz, c’est l’outil poétique qu’est devenu le jazz pour les afro-américains afin d’exprimer l’exil. Cela m’a beaucoup plu, parce que l’on n’est pas dans le misérabilisme ou dans la complaisance, mais dans l’expression d’une fierté et d’une dignité qui passe par la danse et le rythme. J’ai trouvé cela prodigieux pour parler de la diaspora, puisque c’est un thème qui m’est cher et que j’ai déjà évoqué sous différents angles. C’est musicalement, politiquement et socialement très riche. De plus, j’ai l’impression que la danse jazz n’est pas encore tout à fait définie, comme si c’était un terrain encore vierge qui se nourrit d’influences très diverses, et que l’on peut encore s’approprier. Je me fais une version de la danse jazz qui m’est propre, d’autant que ce terme est aujourd’hui un peu fourre-tout, et il est justement très intéressant d’essayer de se fabriquer un vêtement sur-mesure.

Comment mettre en scène cette dimension-là, comment gratter ce qui se cache derrière la virtuosité et le plaisir immédiat que procurent ces danses ?
R. D. : Une chose est sûre : on ne peut pas reproduire ces danses. Les corps ont muté, on ne danse pas à la même vitesse, l’enjeu n’est pas le même. Cette communauté avait des choses à défendre, aujourd’hui elle s’exprime différemment. C’est pourquoi je ne veux pas les reproduire. J’essaye d’en extraire l’essence, de les assimiler, les décoder, les défragmenter. C’est un travail de laboratoire : on découvre une molécule et on essaye de fabriquer des choses à partir d’elle. Même s’il y a des pas à apprendre, nous ne sommes pas dans le copier-coller.
 
«  Ma vocation première, c’est d’être interprète. »
 
Pourquoi n’avoir choisi que des femmes ?
R. D. : Que des femmes de couleur, d’ailleurs. Ce sont des rencontres qui m’ont confortée dans l’idée de conjuguer les choses au féminin. A la toute fin il y a l’intervention d’un homme… Mais c’est vrai que ce projet réunit des femmes, et c’est un choix qui parle de lui-même, je ne peux pas en rajouter !

Par ailleurs, vous faites également partie de la pièce en tant qu’interprète. C’est important, de toujours rester confrontée au plateau ?
R. D. : Ma vocation première, c’est d’être interprète. J’ai une saison très chargée en tant que danseuse, et c’est vrai que ce n’est pas facile quand on signe en même temps la chorégraphie. Mais il y a des choses, des endroits, qui pour le moment sont tellement ma signature…C’est moi en tant qu’interprète qui les singularise, et le fait que je danse me fait porter mon écriture, ma signature, même si cela peut transpirer dans d’autres corps.

Que vous apporte votre parcours de danseuse, notamment au sein de l’école et du ballet de l’Opéra de Paris ?
R. D. : Cela aide beaucoup. Le ballet, depuis que je l’ai quitté, m’est apparu comme un moyen plutôt qu’une fin. Je m’aperçois que cela me donne accès à pas mal de choses, de par l’exigence que cela requiert.

Avez-vous retrouvé cette virtuosité chez les danseuses hip hop ?
R. D. : Complètement. Elles s’expriment de manière très singulière, et c’était aussi important que je sois sur le plateau pour défendre cette différence. Ces danses ne sont pas mortes, et d’une certaine manière ces danseuses hip hop sont dépositaires de cette culture-là. Il faut la valoriser et lui rendre son sens. Je m’empare d’un matériau, comme j’ai pu le faire avec la capoeira et le candomblé auparavant, ou avec l’héritage classique sur Vestis, pour redire l’histoire. Pour faire communiquer le passé et le présent.

Que veut dire le titre Bitter Sugar, sucré-amer ?
R. D. : Le jazz, c’est l’âme heureuse du peuple noir. Quand on voit l’histoire de la communauté afro-américaine des années 20 aux Etats-Unis, et ce qui en découle aujourd’hui, on comprend mieux le titre.

Propose recueillis par Nathalie Yokel


Bitter Sugar de Raphaëlle Delaunay, le 16 et le 19 janvier à 21h, et le 17 janvier à 17h, au Théâtre Jean Vilar, 16 place Stalingrad, 92150 Suresnes. Tel : 01 46 97 98 10. www. suresnes-cités-danse.com. Et le 15 février au Théâtre de Vanves, 12 rue Sadi Carnot, 92 Vanves. Tel : 01 41 33 92 91.

A propos de l'événement


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