La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Penthésilée texte Heinrich von Kleist, traduction Eloi Recoing et Ruth Orthmann, version scénique et mise en scène de Sylvain Maurice

Penthésilée texte Heinrich von Kleist, traduction Eloi Recoing et Ruth Orthmann,  version scénique et mise en scène de Sylvain Maurice - Critique sortie Théâtre Sartrouville Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
© Elisabeth Carecchio Penthésilée, autour d’Agnès Sourdillon.

texte Heinrich von Kleist/version scénique et mise en scène Sylvain Maurice

Publié le 13 mars 2020 - N° 285

A partir du poème de Kleist centré sur le conflit tragique qui saisit Penthésilée, Reine des Amazones, Sylvain Maurice compose autour d’Agnès Sourdillon un très bel oratorio, fruit d’un alliage réussi unissant paysages sonores, échappées visuelles et jeu théâtral.  

Respecter la loi des Amazones ou celle de son cœur ? Dire pour aimer « la silhouette étincelante » d’Achille ou se taire et laisser parler la « langue d’airain » de l’épée ? Conquérir ou mourir ? Enlacer ou lacérer ? Rarement Eros et Thanatos ne s’avèrent aussi entremêlés que dans le poème dramatique d’Heinrich von Kleist, qui se déploie quasi intégralement sur un champ de bataille opposant Troyens et Grecs, où s’immiscent les redoutables Amazones. Exclusivement composé de femmes guerrières, ne tolérant les hommes qu’à des fins de procréation lors de la Fête des Roses, « jusqu’à ce qu’en nous les semailles fleurissent », le peuple des Amazones ne souffre aucune exception à ses règles, ne supportera plus aucune voix d’homme despotique. Car c’est un « génocide ethnique » qui est à l’origine de leur société si singulière. Fille d’Arès, Reine des Amazones, Penthésilée fait taire « le sentiment assourdissant » de son amour pour Achille. Pour rendre compte de ces tensions exacerbées et de cette langue flamboyante, Sylvain Maurice a conçu un alliage étonnant, très beau, qui à la fois fait entendre les mots et ouvre des espaces vers ce que la parole ne peut contenir. Resserrant l’intrigue autour de la passion qui unit Penthésilée et Achille et autour de la personnalité complexe de Penthésilée, le metteur en scène propose une sorte d’oratorio mettant en jeu Agnès Sourdillon, excellente comédienne novarinienne qui prend en charge toutes les voix du récit. A la fois narratrice et personnage, engoncée et hantée par les sentiments contradictoires qui l’assaillent, elle exprime toute la souffrance de Penthésilée, sa démesure et sa rage (parfois dans une diction un peu rapide).

Un théâtre à l’écoute de l’universalité du mythe

Dans le sillage de Réparer les vivants d’après Maylis de Kerangal, Sylvain Maurice crée une sorte de monologue augmenté, adressé directement au public. Autour d’Agnès Sourdillon, quatre chanteuses et un beatboxeur déploient une partition vocale très convaincante, soutenue par la guitare basse de Dayan Korolic, complice de longue date de Sylvain Maurice et auteur de la bande sonore. Issues des musiques actuelles, Mathilde Rossignol, Janice in the Noise, Ophélie Joh et Julieta font écho au chœur antique grec, dédoublent et diffractent le paysage intérieur tourmenté de Penthésilée, accompagnés par les superbes vidéos de Loïs Drouglazet. Ce qui transparaît au-delà du conflit réinventé entre devoir et passion, c’est aussi une faillite du langage, qui permet aux pulsions meurtrières de prendre le dessus, dans la lignée du Sturm und Drang de l’époque. Alors que dans L’Iliade Penthésilée succombe sous les coups d’Achille, ici elle le met en pièces dans un accès de fureur à l’idée de devenir sa captive. « Je ne suis pas maîtresse de mon langage. » reconnaît Penthésilée, ce qui rejoint l’éternelle interrogation sur la liberté individuelle, et singulièrement féminine, face à de mortifères rapports de domination, au poids des héritages et des silences. Associant parfaitement théâtre et musique, Sylvain Maurice et les siens mettent en forme une alchimie réussie, précise, sensible et élégante.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Penthésilée
du mercredi 4 mars 2020 au vendredi 27 mars 2020
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
Place Jacques-Brel, 78500 Sartrouville.

mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 19h30, samedi à 17h, relâche lundi, mardi et dimanche.  Tél. : 01 30 86 77 79. Site : www.theatre-sartrouville.com Egalement le 27 mai à 19h au Nest, CDN transfrontalier Thionville – Grand Est.

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