Avignon / 2013 - Entretien Hortense Archambault / Vincent Baudriller
Ouvrir de nouveaux territoires
Hortense Archambault et Vincent Baudriller dirigent le Festival d’Avignon depuis 2004. Après dix ans d’aventures esthétiques et humaines, qu’ils ont menées avec passion et détermination, ils s’apprêtent à passer le relais. Olivier Py leur succèdera.
« Le Festival d’Avignon est complètement connecté aux évolutions du monde et de la société. » H. A.
« Le Festival avance parce qu’il a su se transformer de l’intérieur. » V. B.
Après dix ans à la direction du Festival d’Avignon, quel regard portez-vous sur votre aventure ?
Vincent Baudriller : Nous avons dirigé le Festival selon le projet que l’on avait proposé au ministère de la Culture, aux Collectivités territoriales et au Conseil d’administration. Dans la lignée de l’héritage de Jean Vilar, nous avons voulu continuer à faire grandir le Festival comme lieu de création artistique et d’ouverture à un large public, et nous avons implanté l’équipe permanente du Festival à Avignon, afin de travailler avec et depuis ce territoire. La FabricA, projet initié il y a huit ans, espace de représentation et lieu de résidence et de répétitions que l’on inaugure cette année, est une traduction directe de ces engagements. Nous sommes très heureux d’avoir concrétisé cette ambition ! Une spécificité importante de notre aventure a aussi été le dialogue que nous avons mis en œuvre chaque année avec un ou deux artistes associés, qui nous a permis d’ouvrir des territoires artistiques divers, structurés par des lignes de force et résonnances singulières. A chaque édition, on regarde cet art vivant depuis une fenêtre différente. Je pense en outre que depuis ses débuts, le Festival avance parce qu’il a su se transformer de l’intérieur. Une des forces de Jean Vilar a été de se remettre à l’ouvrage régulièrement, quand il invente le festival en 1947, quand il le transforme au milieu des années 60, en invitant d’autres artistes de théâtre et de danse.
Le théâtre croise des enjeux esthétiques et politiques. En dix ans, avez-vous constaté des évolutions concernant ces questions ?
Hortense Archambault : Je pense que le Festival d’Avignon est complètement connecté aux évolutions du monde et de la société. Il est passionnant d’observer comment en dix ans les enjeux esthétiques ou politiques ont changé, notamment dans la manière de regarder le monde. Entre Thomas Ostermeier en 2004 et Stanislas Nordey et Dieudonné Niangouna en 2013, nous avons accompli un voyage qui traverse des horizons et perspectives contrastés. Nous sommes partis d’un champ d’exploration qui montrait comment des Français et des Allemands trentenaires appréhendaient la question de l’Europe, à une ouverture totale au monde, au continent africain, à un éclairage inédit sur l’Europe vue d’ailleurs, l’Europe qui n’a alors plus du tout la même résonance et centralité que ce qu’elle pouvait avoir auparavant. Ces choses-là, on les prend à bras le corps pour ne pas en avoir peur, pour écarter tout constat d’impuissance. Quelles représentations d’un monde ouvert peut-on donner à Avignon ? C’est une question qui permet de se voir et de penser autrement. Nous sommes dans un apprentissage, dans un questionnement permanent sur ce qu’est le théâtre. En dialoguant chaque année avec des artistes très différents, je me suis rendu compte que la question de l’art et du théâtre prenait toujours plus d’ampleur, que la question de la vérité en art, absolument centrale et passionnante, devenait aussi de plus en plus vaste. Le Festival est un lieu de création et de partage, où les artistes inventent leur langage et où les spectateurs exercent leur regard critique.
Qu’est-ce qui a particulièrement marqué votre mémoire du Festival ?
V. B. : Il faudrait des pages entières de La Terrasse pour répondre ! Chaque édition est une aventure passionnante, vivante, singulière. Et chaque production est aussi une aventure, dont on n’est jamais sûr du résultat. Lorsqu’on arrive à accompagner un artiste dans la réalisation de son rêve, et que ce rêve rencontre un large public, on ressent une émotion très forte. Quand Josef Nadj nous explique qu’il veut entrer dans un tableau de Miquel Barcelo et que quelques mois plus tard, un miracle advient dans l’église des Célestins, c’est formidable !
Qu’est-ce qui distingue cette édition ?
V. B. : Pour cette dixième édition, nous avons voulu ouvrir de nouvelles portes ; nous accueillons beaucoup de jeunes artistes, venus d’Afrique et d’ailleurs, afin de nous questionner nous-mêmes, de regarder le théâtre autrement.
H.A. : Dieudonné Niangouna, metteur en scène, acteur et auteur, et Stanislas Nordey, metteur en scène et acteur, portent tous deux une parole poétique sur scène, contemporaine, engagée dans le monde. Ils ont en commun une approche du théâtre en tant qu’acteur, depuis la parole qui traverse le corps de l’acteur, mais l’un crée depuis Brazzaville, l’autre depuis la France. Cette différence a généré une rencontre passionnante. Tous les jeunes artistes invités, qui travaillent des deux côtés du fleuve Congo, sont nés après les guerres d’indépendance et utilisent des nouveaux moyens de communication, ils ont un rapport à l’Histoire, au monde et à l’art très différent de la génération précédente. Ils ressentent tous une urgence à inventer de nouvelles formes dans leur prise de parole.
Que pensez-vous de la politique culturelle actuelle ?
V. B. : La démocratisation culturelle et la répartition de la culture sur l’ensemble du territoire sont des champs d’intervention qui ont beaucoup progressé ces dernières décennies. Je pense qu’il est aujourd’hui important de réinvestir avec courage les questions de la création et la production en les reliant à la question des publics. Le système sur lequel la politique culturelle du théâtre vivant se bâtit depuis de nombreuses années ne permet pas à tous les artistes de se réaliser, il est en effet très difficile pour un artiste de grandir en dehors du cadre institutionnel et principalement de la voie quasi obligée et très contraignante des Centres Dramatiques Nationaux : l’accompagnement des artistes doit être repensé, le système doit s’ouvrir, se diversifier pour faire émerger des voies différentes.
Propos recueillis par Agnès Santi
A propos de l'événement
Festival d’Avignondu vendredi 5 juillet 2013 au vendredi 26 juillet 2013
Tél : 04 90 14 14 14.