Onéguine d’après Alexandre Pouchkine, mis en scène de Jean Bellorini
d’après Alexandre Pouchkine / mes Jean Bellorini
Publié le 27 mars 2019 - N° 275Après Karamazov d’après Dostoïevski et Un instant d’après Proust, Jean Bellorini adapte le chef-d’œuvre de Pouchkine dans un dispositif avec casques. Une belle et originale réussite.
Quels beaux comédiens ! Tout entier tournés vers le poème, dans cet équilibre entre appropriation et adresse au public, entre parfaite maîtrise du dire et expression profonde d’un tumulte intérieur. Dans un dispositif bi-frontal qui accorde le rôle principal à la parole, tout en permettant d’aménager quelques pauses en forme de commentaires sur le déroulé concret du spectacle – « on a bien avancé », dit par exemple un comédien, précisant qu’il reste « 6984 pieds » à dire. Chaque spectateur est muni d’un casque, qui installe une proximité intime et unique avec les voix des cinq acteurs, équipés eux aussi d’un casque et d’un micro. Un piano, deux tables, quelques chandeliers avec des bougies… Ce qu’on voit n’est finalement qu’accessoire. Les regards même des acteurs sont transformés, relégués, loin de leur importance habituelle. Quant aux spectateurs, certains peuvent en liberté se laisser aller à fermer les yeux. C’est le micro qui fait le lien à celui ou celle qui l’écoute, micro tenu par l’acteur et non pas simplement accroché. Ce qui dégèle les paroles ici, c’est la langue en soi, c’est le feu de la poésie et de l’imagination, l’incandescence du sentiment amoureux, le flot des pensées.
Un théâtre qu’on entend
Il faut dire que le poème est très beau. Classique de la littérature russe composé entre 1821 et 1831, roman en vers octosyllabiques que Jean Bellorini compare pour sa popularité et son accessibilité à nos Fables de La Fontaine, Eugène Onéguine est traduit par André Markowicz avec une immense science et une évidente musicalité. La partition théâtrale orchestre un quatuor non tempéré, qui diffracte l’émotion comme la pensée, explorant le spleen d’Onéguine, lassé par le bruit du monde, le tourment de Tatiana, initialement repoussée par le jeune homme, la flamme de Lenski pour Olga, sœur cadette de Tatiana. Avec amours perdues, cœurs blessés, projections imaginaires et duel fatal, comme celui qui emporta Pouchkine en 1837. Entre une mazurka de Tchaïkovski et des bouchons de champagne qui sautent, la réalisation sonore de Sébastien Trouvé accompagne au mieux les acteurs. Déjà remarquables dans Un Fils de notre temps d’après Ödon von Horváth (2015), Mathieu Tune, Clément Durand, Antoine Raffalli, Gérôme Ferchaud et Mélodie-Amy Wallet sont formidables, à la fois virtuoses et capables d’exprimer l’infinie fragilité et la redoutable puissance des troubles qui assaillent les personnages. La pièce, qui peut être montée dans des lieux divers, prouve par l’exemple que les outils de notre modernité peuvent merveilleusement servir la poésie. Pour Jean Bellorini, metteur en scène de grand talent, le théâtre n’est pas un symptôme expressionniste de l’époque. Il est un art populaire et exigeant, un art de la présence destiné à tous ceux qui le regardent, ou plutôt qui l’entendent !
Agnès Santi
A propos de l'événement
Onéguine d’après Alexandre Pouchkine, mis en scène de Jean Bellorinidu jeudi 28 mars 2019 au samedi 20 avril 2019
Théâtre Gérard Philippe - CDN de Saint-Denis
59 bd Jules Guesde, 93200 Saint-Denis
Petite salle. Du lundi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Relâche le mardi et le mercredi. Tél. : 01 48 13 70 00. Durée : 2h.