Isabelle Fruleux crée Pourpre d’après l’œuvre de Souad Labbize
Souad Labbize est poétesse et romancière. [...]
Olivier Cruveiller adapte et interprète le roman d’Éric Faye, grand prix de l’Académie Française en 2010, aux côtés de Natalie Akoun, Nina Cruveiller et Laurent Valéro. La pièce éclaire joliment l’histoire ancrée dans la fragilité de la vie et en révèle l’essence précieuse et éphémère.
Certaines histoires inscrites au cœur d’un quotidien sans aspérité ne révèlent-elles pas l’essence de la vie ? Forgée avec une grande délicatesse et une élégante limpidité par les interprètes Olivier Cruveiller – qui est aussi le metteur en scène -, Natalie Akoun et Nina Cruveiller, celle que l’on découvre dans le bel écrin du Théâtre de l’Épée de Bois touche et captive de bout en bout. Par son originalité, qui fait entrer le monde extérieur par effraction dans un abri sagement ordonné, mais aussi par l’implicite et le poids de la mémoire qui imprègnent les personnages, par les chemins sinueux de la psyché qui parfois malgré soi en un instant d’hésitation orientent l’existence. Comme en écho à ces sublimes pièces de Tchekhov où certains adieux maladroits consacrent la victoire d’un avenir tristement solitaire. Laurent Valéro accompagne joliment la fable au bandonéon et au violon. Olivier Cruveiller, en complicité avec le public passager et témoin d’une histoire aussi bizarre que banale, a centré son adaptation sur les deux principaux protagonistes. Monsieur Shimura, qu’il interprète parfaitement, est un célibataire dont la routine est partagée entre travail et maison, aimant l’ordre et la mesure. Un jour, il remarque qu’un peu de nourriture et du jus d’orange ont été consommés en son absence. Il installe une webcam, qui, outre « un panorama glaçant de sa solitude », montre qu’une femme s’est introduite chez lui. Il appelle la police, qui vient l’arrêter, et regrette aussitôt son geste, curieux d’en savoir plus sur cette passagère clandestine, qui se sert dans la réserve du thé du soir : « mon intruse, comment l’appeler autrement ? ».
Des vies minuscules d’une immense humanité
Pas d’écran dans la mise en scène, mais une économie de moyens et une sobriété artisanale parfaitement en accord avec la fugacité évanescente de cette histoire insolite. Des panneaux rectangulaires sont déplacés au fil des espaces, laissant d’abord apparaître comme une ombre celle qui fut cachée pendant un an dans le placard à futons, invisible devenue si familière des petites habitudes de son hôte, « homme des masses » sans histoire. On apprend qu’elle est chômeuse de longue durée, sans famille et en fin de droit, avant qu’au fil du récit de Monsieur Shimura ne surgissent d’autres motifs liés à certains traumas. Un trauma qui en août 1945 a frappé le Japon tout entier, éclair atomique qui laissa sur les murs décolorés des ombres de disparus, des traces de silhouettes et d’objets comme des projections photographiques. Un trauma personnel aussi, dévoilé à la fin de la pièce. Natalie Akoun, présence si radieuse, si forte, presque évanescente dans sa discrétion obligée, interprète merveilleusement l’intruse. Nina Cruveiller l’interprète aussi de très belle façon dans sa jeunesse. Toutes deux sont dans une forme d’émouvante gémellité que le temps sépare et que la mémoire unit. Si étrange soit-elle, leur histoire ancrée dans le concret de la vie rappelle la terrible indifférence que subissent ceux qui sont oubliés, invisibles, meurtris. Grâce à la magie d’un théâtre délicat et touchant, ces vies minuscules se révèlent dans leur immense et fugace humanité.
Agnès Santi
Du 5 au 15 janvier 2023. Du jeudi au samedi à 21h ; samedi et dimanche à 16h30. Tél. : 01 48 08 39 74. Durée : 1h20.
Puis du 23 mars au 8 avril au 100ECS, 100 rue de Charenton, 75012 Paris
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