Le Misanthrope ou l’atrabilaire amoureux
Michel Fau investit l’écrin du Théâtre de [...]
Son buste, puis sa tête, dépassent d’un agglomérat de sable et de détritus. Sous la direction d’Anne Bisang, Christiane Cohendy crée une Winnie réchappée d’une tempête ou d’un raz-de-marée. Sans convaincre.
Samuel Beckett n’en finit pas d’inspirer les metteur-e-s en scène. De tous horizons, de toutes générations. Et c’est une bonne chose. Pas une saison sans que les drôles de personnages créés par le Prix Nobel de littérature d’origine irlandaise ne viennent nous questionner de leurs regards perdus, de leurs étranges présences d’hommes et de femmes au bord du gouffre. Et de leurs mots, bien sûr, leurs paroles facétieuses, énigmatiques, d’une force et d’une lucidité incommensurables. Dans Rencontres avec Samuel Beckett*, ouvrage rendant compte de quatre entrevues ayant eu lieu entre octobre 1968 et novembre 1977, Charles Juliet apporte un magnifique témoignage sur son prestigieux confrère. Il parle de sa gravité, de sa timidité, de la densité de ses silences, de l’intensité avec laquelle il faisait exister l’invisible. Il dépeint un être supérieur, qui se tenait « au plus bas, dans l’intimité d’une permanente interrogation sur le fondamental ». Toutes ces caractéristiques – qui se dégageaient de l’homme – sont le substrat même de son écriture. Ainsi Oh les beaux jours, à l’instar de tout le théâtre beckettien, est une œuvre à la fois entièrement ancrée dans les aléas de la vie et pleinement inscrite dans un au-delà du monde.
Winnie à la plage
Un au-delà qui peut donner le vertige. Car, tel un saut dans le vide, la pièce de Samuel Beckett joue sur une double appréhension du concret et de l’abstraction, sur une imbrication intime de la quotidienneté et de l’insondable. C’est ce grand écart que ne parvient pas à tenir la mise en scène présentée par Anne Bisang à la Comédie de Genève. Emergeant d’un tas de sable duquel se détachent également, pêle-mêle, un vieux bidon, des bouts de bois, toutes sortes de gravats, une coque de bateau (la scénographie et les costumes sont d’Anna Popek, les lumières de Colin Legras), la Winnie qu’interprète Christiane Cohendy (le rôle de Willie est incarné par Vincent Aubert) s’enlise dans le tangible et le psychologique. Au détriment des lignes de fuite existentielles, des interstices ouvrant sur le fondamental. Devant une photographie réaliste représentant un paysage de grève ensoleillé, la grande comédienne semble ici comme égarée. Elle fléchit sous le poids d’un spectacle incertain que des effets de lumières et de sons malhabiles viennent encore alourdir. On peine à saisir la ligne directrice qu’Anne Bisang a cherché à insuffler à sa représentation. Les répliques que l’on connaît se succèdent. Parfois drôles, parfois piquantes. Rarement frappantes ou déchirantes.
* P.O.L., 1999
Manuel Piolat Soleymat
Du 4 au 22 mars 2014. Les mardis et vendredis à 20h ; les mercredis, jeudis et samedis à 19h ; les dimanches à 17h. Relâches les lundis et le dimanche 9 mars. Durée : 1h45. Tél. : + 41 22 320 50 01. www.comedie.ch
Michel Fau investit l’écrin du Théâtre de [...]