La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Nos serments

Nos serments - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre national de la Colline
La scénographie signée Paquita Milville est un plateau de tournage. Crédit photo : DR

Théâtre national de La Colline / De Guy-Patrick de Sainderichin et Julie Duclos / Mise en scène Julie Duclos

Publié le 28 mars 2016 - N° 242

La metteuse en scène Julie Duclos s’inspire très librement de La maman et la putain de Jean Eustache pour questionner notre époque dans une chronique amoureuse captivante. A ne pas manquer !

François, éternel flâneur, un jour peut-être écrivain, vient de quitter la possessive Mathilde. Il vit maintenant avec Esther, qui tient une boutique de vêtements, vague ici et là, parle beaucoup, de tout et de rien, de la vie, de littérature ou de philosophie, surtout avec son ami Gilles. Puis il rencontre Oliwia, une infirmière polonaise, en tombe amoureux, en fait sa maîtresse… Variation banale de l’éternel trio ? Sauf que ces trois-là refusent le schéma vaudevillesque et cherchent un autre modèle amoureux, hasardeux sans doute, dangereux assurément. C’est-à-dire une relation où chacun pourrait vivre ses désirs sans mensonge et s’épanouir en liberté, où l’amour ne s’abîmerait pas dans la jalousie et les cris, mais se féliciterait du bonheur de l’autre. Une façon d’être à contre-courant, d’exister dans les marges. « L’honnêteté, c’est-à-dire à la fois le désir et la dignité. On est ferme dans son désir, on tient à sa dignité. On est honnête. » résume François. Cet idéal achoppe pourtant au quotidien sur les brisants des sentiments, qui ne se maîtrisent pas aussi aisément que le discours… Comment assumer dans la pratique ces utopies intimes ?

Vivre à contre-courant, aujourd’hui

Julie Duclos et les comédiens d’In-Quarto ont dessiné ces personnages sur les silhouettes de La Maman et la putain, chef-d’œuvre de Jean Eustache tourné dans les années 70. Développant des improvisations à partir du scénario, ils ont esquissé leurs traits qui peu à peu se sont détachés de leurs modèles pour se teinter des couleurs d’aujourd’hui et vivre leur propre histoire. Nos serments, coécrit avec le scénariste Patrick de Sainderichin, tire de la partition originale des questionnements sur une certaine attitude au monde, déliée des normes, disponible au possible, pour les confronter à notre époque. Situant l’action dans un appartement, la metteuse en scène observe leur impact dans la sphère privée. Elle mène à merveille la bande d’acteurs, d’une vérité troublante. La scénographie, un plateau de tournage qui délimite l’espace de la fiction, élargi au hors-champ par des séquences filmées, floute la lisière du réel par contraste au naturalisme du jeu. David Houri (François), aussi touchant qu’exaspérant par son égoïsme décomplexé et ses saccades sentimentales, Alix Riemer (Esther), émouvante dans ses contradictions, Magadalena Malina (Olivia), poignante par son énergie blessée, Maëlia Gentil (Mathilde), déchirée dans sa fureur douloureuse, et Yohan Lopez (Gilles), l’ami tout en retenue, composent à fines touches une chronique tendrement drôle de l’humain aux prises avec ses indécisions et ses contorsions intimes pour accorder ses actes et ses idées. Nos Serments montre l’ébranlement secret qu’un tel mode de vie provoque au plus intime des uns et des autres.

Gwénola David

A propos de l'événement

Nos serments
du jeudi 7 avril 2016 au vendredi 22 avril 2016
Théâtre national de la Colline
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris, France

à 20h, sauf mardi 19h et dimanche 16h, relâche lundi. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée : 2h45. Spectacle vu en janvier 2015 au Théâtre national de La Colline.

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