La Princesse de Clèves
Créée à la MC2 à Grenoble en janvier dernier, [...]
Repris au Théâtre Tristan Bernard après sa création l’été dernier au Théâtre du Chêne Noir à Avignon, Mon Ange porte à la scène le parcours d’une jeune combattante kurde luttant contre l’Etat islamique. Une plongée dans le réel, malgré l’artifice du théâtre.
Kobané, c’est un peu le « Thonon-les-Bains de Syrie », une petite ville tranquille entourée de champs de pistaches et d’olives, toute proche de la frontière turque. Une ville majoritairement kurde et musulmane devenue en 2014 ligne de front, massivement attaquée et assiégée par l’Etat islamique et défendue par les YPG kurdes (Unités de protection du peuple). Surnommée l’Ange de Kobané, devenue célèbre symbole de résistance grâce aux réseaux sociaux, une mystérieuse combattante kurde appelée Rehana a inspiré Henry Naylor pour l’écriture de sa pièce, qui constitue le dernier volet d’une trilogie consacrée aux Cauchemars d’Orient. Le metteur en scène Jérémie Lippmann souhaite embarquer le spectateur au cœur de l’histoire de Rehana, l’immerger dans une réelle proximité avec ce qu’elle a vécu. Comme le théâtre n’a que faire d’imiter le réel, il a choisi de construire ce qu’il appelle une « expérience sensorielle ». Toute la pièce se déroule dans la pénombre – les lumières sont de Joël Hourbeight. La très réussie scénographie conçue par Jacques Gabel, qui évite tout réalisme, exprime toute la désolation et la dévastation de la guerre. La ferme de son enfance, les arbres qui faisaient la fierté de son père : tout le passé de Rehana se fossilise en une grotte couleur de suie aussi obscure qu’un tombeau, où se balancent des feuilles semblables à des fantômes calcinés.
La fille de son père
Ce qui à l’inverse fait clairement écho au réel (parfois de manière très démonstrative), c’est la bande sonore qui installe la menace et le danger presque comme dans un film. Au fil de l’intrigue haletante (avec quelques facilités attendues), les détonations retentissent, sans doute pour rendre palpable la réalité des combats. L’enjeu majeur de la pièce, c’est avant tout l’interprétation de cette jeune fille pacifiste devenue par nécessité tueuse. Elle est la « fille de son père », aussi obstinée et courageuse que lui. Il lui a appris à manier les armes et choisit de combattre Daech plutôt que fuir en Europe. La passion du droit qui anime Rehana laisse place aux armes, elle décide de suivre les traces de son père, risquant non seulement la mort mais aussi de devenir esclave sexuelle. Lina El Arabi, toute jeune comédienne âgée d’une vingtaine d’années, est seule en scène, interprétant tous les personnages. La virtuosité qu’exigent les changements de voix semble au début accaparer et amoindrir son jeu, mais elle parvient cependant à relever le défi avec talent, présence et assurance. Elle évite toute exaltation factice, et fait preuve de beaucoup de maturité et de profondeur.
Agnès Santi
Du mardi au samedi à 21h, matinée samedi à 16h30. Tél : 01 45 22 08 40. Durée : 1h10.
Créée à la MC2 à Grenoble en janvier dernier, [...]