Coriolan 22.04
- Critique sortie ThéâtreMigrations
Une mise en scène sensible d’une situation d’exil surmonté pour la survie des
êtres chers restés au pays. Un bel objet théâtral de justesse et d’humilité par
Romain Fohr.
En 1982 au Théâtre National de Chaillot, Antoine Vitez met en scène
Entretien avec M. Saïd Hammadi, ouvrier algérien de Tahar Ben Jelloun. Une
création sobre à contre-courant des attentes spectaculaires pour l’explicitation
osée d’une situation d’immigration qu’il n?était pas habituel de voir
représenter, tant le malheur subi par la population étrangère n?avait pas encore
droit de cité dans les médias, si ce n?est dans les consciences. Aujourd’hui,
Romain Fohr, un jeune metteur en scène engagé face à une société dont on peut
regretter l’éthique approximative a repris à son compte l’exposition de ces
brûlures intimes jamais apaisées. C’est la situation précaire de ces hommes qui
immigrèrent dans les années 60 du Maghreb en France, pour trouver du travail et
faire vivre leur famille restée au pays. Fohr s’est inspiré, avec l’à-propos
d’un regard réfléchi, des écrits de Rachid Boudjedra, Mouloud Feraoun, Leïla
Sebbar, Malek Haddad, Rachid Mimouni, Kateb Yacine? pour dessiner le parcours de
vie de Saïd. Un chemin étroit de bois blond qui monte et qui descend de cour à
jardin, avec sa voile immense en fond de scène ? le ciel ou bien la mer, un
réceptacle d’images souriantes ou tragiques du souvenir, le souffle de la
mémoire vivante des paradis perdus. À Marseille, le travail à l’usine occupe le
jour, la nuit c’est l’enfer de la solitude.
Aïssa Malouk tient magistralement son rôle entre ouverture et questionnement.
Le père, ouvrier agricole, a été emprisonné par les Français lors de la
guerre d’Algérie. L’enfant va devoir travailler avec sa mère la terre des
autres. Saïd n?a jamais appris à lire et à écrire, et les plus beaux livres de
la Révolution restent les murs de sa ville d’origine. À chaque fois qu’il rentre
au pays, c’est une nouvelle naissance, même s’il ne voit sa femme et ses enfants
que rarement, même s’il ne leur consent d’instinct que peu de liberté. Saïd
pense qu’il appartient à la dernière génération qui émigre : en l’an 2000, ses
enfants auront une vie différente de la sienne? L’ouvrier est en accord avec sa
conscience, il a payé pour que vivent ses proches dans la dignité et le respect
de soi, indifférent à l’imbécile cruauté ambiante et autres slogans d’effroi
politique, « La France, aimez-la ou quittez-la ». Saïd sait qu’il a
oeuvré à ce que ce pays devenu le sien relève son économie en manque de
travailleurs. Aïssa Malouk tient magistralement son rôle entre ouverture et
questionnement – tenant ses sacs à commissions comme des outils de survie. Un
journaliste facétieux, Christophe Chaumette, l’aide à naître à soi. Respect.
Véronique Hotte
Migrations
Tout public à partir de 11 ans
Ecriture et mise en scène de Romain Fohr, les 8 et 9 mars 2007 à 20h30, le 10
mars à 19h, le 11 mars à 16h30 au Plateau 31, rue Henri Kleynhoff 94250 Gentilly
Tél : 01 45 46 92 02 plateau31@free.fr