La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Michel Raskine

Michel Raskine - Critique sortie Théâtre
Légende : Michel Raskine

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

La dernière chance de l’amour

Michel Raskine, qu’on connaît versé dans le registre contemporain, met en scène la plus célèbre des pièces de Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard. Un virage qui donne naissance à une lecture renouvelée de la pièce, étonnante également dans son rythme et sa distribution.

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’âge avancé de vos comédiens principaux. Plus de 50 ans, c’est tard pour jouer les jeunes premiers ?
Michel Raskine : C’est marquant sur le papier mais les spectateurs de la pièce me disent qu’on l’oublie très vite sur le plateau. Ce n’est donc pas qu’une idée dramaturgique. J’ai fait ce choix parce que je me demandais comment de jeunes acteurs pouvaient endosser les rôles de Silvia et Dorante. En effet, la difficulté première de cette pièce réside pour moi dans la capacité à faire entendre le texte, son sens, à ne pas se laisser emporter par la musique de la langue. J’ai fait une lecture avec Marief Guittier, ma sœur de théâtre et Christine Brotons. Et là, j’entendais tout : la mélancolie et la gravité, plus que la cruauté. Ainsi, la possibilité a surgi d’elle-même de raconter là un dernier amour.

Ne trahissez-vous pas ainsi les intentions de Marivaux ?
M.R : Bien au contraire. D’une part, le rôle de Lisette était tout d’abord destiné à une comédienne de 33 ans, ce qui à cette époque était un âge canonique. De plus, l’expérience est le maître mot chez Marivaux. L’expérience dans ses pièces est à entendre comme une épreuve. Chéreau l’avait très bien souligné dans sa magnifique représentation de La Dispute. En fait, chez Marivaux, si l’on vit l’amour avec cette conscience d’expérimenter quelque chose, on court forcément à l’échec.

Vous donnez donc une version plutôt noire de cette pièce ?
M.R : Cette noirceur de Marivaux, je ne la révèle pas. On la trouvait déjà chez Planchon par exemple. Il avait souligné combien Marivaux propose un cocktail détonnant entre farce et noirceur. Ce qui est drôle, c’est la qualité de la peinture psychologique des personnages, et le fait que le spectateur soit toujours en avance sur les personnages, qu’il en sache davantage qu’eux. C’est jubilatoire et c’est là que réside selon moi la clé du succès de ses pièces. Il y a aussi bien sûr les personnages de valets qui comme Arlequin relèvent clairement d’une tradition comique.

« Pourquoi le rideau devrait-il tomber quand les personnages n’ont plus rien à se dire ? »
Cette pièce s’inscrit dans un triptyque imaginaire avec Juste la fin du monde de Lagarce et La Danse de 
mort de Strindberg. Êtes-vous préoccupé par le désir crépusculaire ?
Oh non ! D’une part, je ne fais pas du théâtre pour étudier tel ou tel thème, et surtout cette trilogie, qui n’en était pas une au départ, a vraiment attisé mon désir de faire du théâtre. De toute façon, je suis taraudé par la question du désir, et notamment celle du désir amoureux. Si on n’est pas dans cette situation, on ne peut pas faire de l’art vivant.

Vous avez également choisi de faire du
Jeu de l’amour et du hasard une pièce longue à rebours d’une tradition qui mise sur le rythme rapide de la comédie ?
M.R : La pièce dure 2h20. Mais la durée n’implique pas la lenteur. La question du rythme rejoint en fait ma préoccupation initiale de bien faire entendre le texte. Le jeu de l’amour et du hasard est une pièce connue pour être connue, et je veux lever ce voile que la célébrité peut poser sur une œuvre, la rendant opaque parce que familière. J’ai donc choisi de procéder par pauses, accélérations, ralentissements successifs. Dans la réalité, la conversation intime connait ainsi une infinité de variations, son rythme n’est pas régulier.

Votre pièce joue également les prolongations ?
M.R : En effet. Au théâtre, on n’est pas dans l’oratorio. Il faut trouver d’autres moyens d’expression que le langage. Alors je me suis demandé : pourquoi le rideau devrait-il tomber quand les personnages n’ont plus rien à se dire ?

Propos recueillis par Eric Demey


Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Michel Raskine. Au théâtre de l’Odéon, ateliers Berthier, du 12 janvier au 6 février. Réservations : 01 44 85 40 40

A propos de l'événement


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