La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Michel Raskine

Michel Raskine - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2007

Huis clos : des empoignades sartriennes

Huis clos est un « best seller » de Sartre, quasi inconnu pour les générations d’aujourd’hui dont les pères et mères ont souvent taxé la pièce de « théâtre cérébral » un peu désuet. Elle renaît de ses cendres grâce à la mise en scène tonique et vivifiante de Michel Raskine, directeur du Théâtre du Point du Jour à Lyon. Une re-création de sa version de 91.

 

Comment avez-vous décidé de mettre en scène Huis clos en 91 ?
Michel Raskine : C’est une pièce que je ne connaissais guère puisque cette œuvre de Sartre n’entrait pas dans la culture de référence du Parti communiste dont mes parents étaient membres. C’est avec une candeur tranquille que j’ai attaqué Huis clos, car je n’y voyais plus, à la lecture, les a priori et les préjugés dont on chargeait habituellement la pièce. Nous baignions à l’époque dans une mouvance esthétique nouvelle qui correspondait à l’explosion de la danse contemporaine avec des chorégraphes comme Pina Bausch, Jean-Claude Gallotta ou Dominique Bagouet… Et la présence du corps est peu à peu devenue à la mode.

Huis clos n’a pas fait l’économie de cette dimension physique.
M. R. : J’ai eu le sentiment immédiat que la pièce n’était pas si cérébrale qu’on le voulait bien croire, mais au contraire, extrêmement charnelle dans les relations des personnages les uns avec les autres : de véritables empoignades. L’adage qui dit que ce sont des êtres qui se font mal par les mots ne se vérifie pas. Les rapports physiques entre les hommes et les femmes sont d’une grande brutalité. J’ai été sidéré par le triangle amoureux vaudevillesque, composé non pas d’un homme et de deux femmes ou de deux hommes et d’une femme, mais plus subtilement d’un homme, d’une femme et d’une homosexuelle. Estelle, la jeune femme, devient l’objet du désir d’un macho, Garcin, et d’une lesbienne, Inès. La mise en scène de cette sauvagerie absolue dans les relations humaines est devenue un enjeu dramatique.

Le succès des représentations vous a conduit à reprendre la pièce en 95, et aujourd’hui encore dix-sept ans après.
M. R. : Avec cette différence qu’à présent, il s’agirait plutôt d’une re-création puisque, même si la musique, la scénographie et deux acteurs – Marief Guittier pour Inès et Christian Drillaud pour Garcin – sont identiques, le personnage d’Estelle, qu’incarnait merveilleusement Marie-Christine Orry, est repris par la jeune Cécile Bournay. La mise en scène ne fait que raconter la naissance du désir et toutes les stratégies de séduction inventées par Garcin et Inès. Il fallait donc préserver l’authenticité de la présence d’Estelle, et ainsi dix-sept ans plus tard, « rajeunir » naturellement la comédienne. Les acteurs initiaux appartiennent à l’histoire de la distribution et sont porteurs de dix-sept années de vie qui viennent s’ajouter à la maturité existentielle et à la profondeur des rôles qu’ils ont pu tenir par ailleurs. Ce décalage, entre Estelle d’un côté et Inès et Garcin de l’autre, qui assument leur âge, se creuse ainsi d’une strate glaciale d’amertume, de désespoir et de solitude. Et cependant, on rit toujours car Huis clos reste une comédie.

« Une dramaturgie du combat individuel et de la stratégie amoureuse. »

Comment relisez-vous finalement la pièce en 2007 ?
M. R. : La question des morts en enfer s’éloigne. Cette situation fictionnelle paradoxale pour le marxiste Sartre, créée en 44 à Paris, appartient à un contexte particulier. Ce qui demeure, c’est la confrontation forcée d’individus qui n’auraient pas dû se connaître. Le jeu des apparences, des mensonges et des trahisons relève davantage de Pinter. Comme dans l’œuvre de Pinter, le contexte social existe de façon tamisée, et plus on en apprend sur les personnages, moins on en sait. Une sorte d’opacité psychologique s’impose.

C’est la description des tensions qui vous importe.
M. R. : Notre société, peu tendre avec la question de l’âge et du vieillissement, est de plus en plus impitoyable avec les individus, elle ne fait pas de cadeaux et n’accorde nul pardon. Huis clos résonne fort car il s’agit d’une dramaturgie du combat individuel et de la stratégie amoureuse, des thèmes qui font surface à présent de façon spectaculaire, à côté de l’inébranlable réplique « L’enfer, c’est les Autres ».

Propos recueillis par Véronique Hotte


Huis clos
De Jean-Paul Sartre, mise en scène de Michel Raskine, du 2 au 26 octobre 2007 aux Abbesses- Théâtre de la Ville, 31 rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77 theatredelaville-paris.com.

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