La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Merlin ou la terre dévastée

Merlin ou la terre dévastée - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Elizabeth Carecchio Légende photo : Les douze comédiens portent leurs rôles à même la peau, sans décorum

Publié le 10 décembre 2009

Le collectif Les Possédés s’empare de la folle épopée de l’auteur allemand Tankred Dorst. Simplement magistral.

Voilà des siècles qu’ils caracolent allègrement dans nos imaginaires, chevauchant à travers les terres d’enfance, la bravoure en étendard, la vertu bien cuirassée et la justice en guise de mire… Merlin, Roi Arthur, Sire Lancelot du Lac, Reine Guenièvre, Perceval, fée Vivianne et autres chevaliers de la Table Ronde portent toujours beau l’idéal chevaleresque, qui clinquante volontiers aujourd’hui sur grand écran en péripéties technicolor et aventureuses « excaliburades ». C’est dans cette fable fort vivace, propagée par-delà les âges depuis le 12ème siècle, que Tankred Dorst pioche le minerai d’un conte théâtral joyeusement sombre, philosophique et violemment pagailleur. Conçue à l’origine pour Peter Zadek qui la projetait à la Grande halle à poissons d’Hambourg, finalement créée à la Schauspielhaus de Düsseldorf en 1981 par Jaroslav Chundela, cette œuvre monstre profane sans complexe la légende, violant la chronologie et ingurgitant au passage allégories, personnages et événements contemporains. L’auteur allemand y fourre tout, pastiche Shakespeare et les Monty Python, tricote la tragédie, le fantastique et la farce, faufile l’anachronisme et l’histoire, et passe pêle-mêle à la question la figure du héros, l’utopie, le pouvoir, la culpabilité, la trahison, la justice… le Bien et le Mal.
 
L’Histoire réfute-t-elle l’utopie ?
 
Rodolphe Dana et ses compères du collectif Les possédés ont adroitement taillé dans cette pièce massive pour épanneler la rhétorique et ciseler les trajectoires intimes, resserrant l’intrigue sur une poignée de personnages – parmi une cinquantaine, au bas mot. Merlin, trouble magicien aux prises avec son diable de père, manipule les fils de l’Histoire, ourdit l’avenir et tente de mener l’homme sur la bonne voie, celle où il « se découvre lui-même », celle d’un monde pacifié où règneraient la fraternité et l’équité. Loin de verser dans la grandiloquence téléo-politico-historique ou le folklore moyenâgeux, les douze comédiens entrent dans cette folle épopée par le jeu : tels des gamins un rien bravaches à l’âge des possibles, ils donnent réalité à leurs chimères, à l’invention d’une société nouvelle… Et découvrent au feu de l’expérience que souvent l’utopie oublie la nature des hommes, leur complexe et retorse humanité. « L’homme n’est de l’homme qu’un rêve. ». En chemin, ils éprouveront les errances du désir, la déchirure des doutes, la vanité des victoires, la maturité… l’échec de leur quête et la tourmente d’une jeune génération égarée dans une époque libérée du péché comme de tout idéal. Point d’armures et autres cubitières ici, mais la force d’un théâtre à mains nues, qui fabrique la fiction à vue sans pourtant jamais être factice. Un siège de camping peut bien devenir trône royal, une jupe plissée un habit de Cour, car les acteurs portent leurs rôles à même la peau, tous à l’unisson. Cette magistrale traversée aux accents nietzschéens noue au cœur d’aujourd’hui parcours individuels et histoire collective, laissant en suspens l’écho entêtant des utopies avortées, comme appel à l’imagination pour demain.
 
Gwénola David


Merlin ou la terre dévastée, de Tankred Dorst, création du collectif Les Possédés, dirigé par Rodolphe Dana, jusqu’au 19 décembre 2009, à 19h30, sauf dimanche à 15h, relâche lundi, au Théâtre national de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris. Rens. 01 44 62 52 52 et www.colline.fr. Puis en tournée jusqu’en mars 2010, notamment le 8 janvier 2010, au Théâtre Firmin Gémier-La Piscine, à Châtenay-Malabry. Texte intégral publié aux Editions de L’Arche.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre