La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Mère, texte et mise en scène Wajdi Mouawad

Mère, texte et mise en scène Wajdi Mouawad - Critique sortie Théâtre Paris La Colline - Théâtre national
© Tuong-Vi Nguyen Mère de Wajdi Mouawad

La Colline – Théâtre National / Texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

Publié le 24 novembre 2021 - N° 294

Avec Mère, Wajdi Mouawad poursuit son cycle Domestique. Pour dresser le portrait d’une mère qui ressemble à la sienne, l’auteur et metteur en scène s’approche plus que jamais de son Liban d’origine. Il s’éloigne en revanche de sa recherche de formes singulières mêlant autobiographie et fiction pour traiter de l’exil et du poids de l’Histoire sur l’individu.

C’est en directeur proche de son public, attentif à son bien-être et à ses envies, que Wajdi Mouawad ouvre Mère. L’adresse est si directe, le ton si naturel que l’on s’attend presque à ce que l’ouvreur-directeur nous dise un mot de la polémique qui entoure cette nouvelle création, troisième opus du cycle Domestique débuté en 2008 avec le solo Seuls. Mais non, l’auteur et metteur en scène ne dit pas un mot pour justifier son choix de confier à Bertrand Cantat, jugé coupable du meurtre de Marie Trintignant, la création de la bande-son de son spectacle. Par cette entrée en matière, Wajdi Mouawad pose le cadre autofictionnel de sa pièce. Il en précise les contours lorsqu’il quitte la salle pour monter sur scène, où il commence à suivre les trois comédiens qui l’occupent presque en permanence – Odette Makhlouf, Aïda Sabra et l’un des quatre enfants qui se partagent le rôle – et leur visiteuse régulière Christine Ockrent, la vraie. D’ouvreur, il devient une sorte de régisseur : à vue, il leur apporte ce dont ils ont besoin pour vaquer à leurs occupations. Un téléphone, une télévision, une table  et divers ustensiles lui suffisent pour reconstituer l’atmosphère de l’appartement parisien où il a vécu pendant cinq ans avec sa mère et ses sœurs, pour échapper à la guerre civile libanaise. Mère est un retour à l’enfance, où la fiction se propose de creuser le réel.

La guerre et l’enfant

Pour bâtir un pont entre passé et présent, entre autobiographie et fiction, Wajdi Mouawad a largement recours à la mise en abîme. À plusieurs reprises, il sort de son ombre et de son silence pour perturber le quotidien du plateau. Pour venir parler avec sa mère par-delà la mort, par exemple, et renverser par la même occasion l’ordre de la création : par ce dialogue échappant aux lois du réel, l’artiste se fait démiurge. Ce n’est pas sa mère qui l’a fait mais lui, dit-il, qui a conçu sa mère. C’est, poursuit-il face à une Odette Makhlouf sans voix, grâce à la mort de sa génitrice qu’il est vraiment né, qu’il est devenu ce qu’il est. Sous-entendu, un grand. Faute de mise à distance, d’autodérision, le procédé a tendance à rendre écrasant un regard masculin porté sur des femmes – l’enfant, lui, y échappe mieux en se créant un univers peuplé de créatures fictionnelles. Le présent du plateau domine souvent la représentation du passé. Il affirme sa supériorité sur les peurs et les bonheurs de la petite famille paralysée par la guerre qui détruit son pays. Malgré l’excellente interprétation d’Odette Makhlouf et d’Aïda Sabra, qui en parlant arabe rapprochent le théâtre de Wajdi Mouawad de son pays d’origine, cette pièce se perd dans l’étendue qu’elle crée entre cuisine et théâtre, au lieu de placer les deux sur un même plan.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Mère, texte et mise en scène Wajdi Mouawad
du vendredi 19 novembre 2021 au jeudi 30 décembre 2021
La Colline - Théâtre national
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30 et le 27 décembre à 20h30. Relâche les 7, 24, 25 et 26 décembre. Durée : 2h10. Tel : 01 44 62 52 52.

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