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Théâtre - Critique

La Cerisaie d’Anton Tchekhov dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger

La Cerisaie d’Anton Tchekhov dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française Salle Richelieu
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Comédie-Française / Texte d'Anton Tchekhov / Mise en scène de Clément Hervieu-Léger

Publié le 24 novembre 2021 - N° 294

À la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger aborde La Cerisaie de Tchekhov comme à tâtons. Avec une délicatesse qui l’empêche d’atteindre au cœur tragi-comique de cette pièce où l’on assiste à la fin d’un monde, d’une époque.

« Quelle heure est-il ? ». Avec cette question qu’il met dans la bouche de son Lopakhine, ancien serf devenu marchand, Anton Tchekhov ouvre le décompte de sa Cerisaie. Au terme de cette ultime pièce, créée en 1904, le domaine éponyme sera vendu. Il échappera à sa propriétaire Lioubov Andreévna Ranevskaia et à sa famille, écrasée par les dettes. Le metteur en scène Clément Hervieu-Léger, qui retrouve la troupe de la Comédie-Française après l’avoir dirigée dans La Critique de l’école des femmes et Le Misanthrope de Molière, Le Petit-Maître corrigé de Marivaux et L’Éveil du printemps de Frank Wedekind, perçoit bien l’importance du temps dans cette œuvre. « Elle est, en cela, une parabole du théâtre lui-même. L’essence du théâtre n’est-elle pas, en effet, d’inventer un temps pluriel qui n’appartient qu’à lui ? Un temps discontinu, qui s’étire ou s’accélère au rythme de notre propre cœur », dit-il dans le programme du spectacle. C’est donc avec une conscience aiguë de la complexité du travail à accomplir que Clément Hervieu-Léger pénètre dans la demeure tchékhovienne. Cette connaissance fine des enjeux de la pièce aurait pu permettre au metteur en scène d’aborder le monument avec la démarche, le rapport au temps adéquat. Or, avant même le retour de Lioubov (Florence Viala), de sa fille Ania (Rebecca Marder) et de leur gouvernante allemande Charlotta Ivanovna (Véronique Vella) après cinq ans passés en France, en tout début de pièce, le bagage intellectuel qu’il a amené lui pèse.

Chute de la maison Tchekhov

Comme l’indique l’auteur, c’est dans « une pièce qu’on appelle encore la chambre d’enfants » que se situe le premier acte de cette Cerisaie. Des portes s’ouvriront par la suite, des parois révéleront d’autres pièces, mais toujours cette chambre où Lopakhine (Loïc Corbery) formule sa question liminaire en attendant l’arrivée de Lioubov sera présente. Pesante. Conçu par la scénographe Aurélie Maestre, c’est un écrin de bois simple, dont les murs sont ornés de portraits qu’on devine être ceux d’illustres ancêtres et d’un tableau plein de cerisiers en fleurs, qui accueille les maîtres de retour. Il place la pièce hors du temps, dans une géographie elle aussi ambiguë, comme le font également les costumes de Caroline de Vivaise, surannés mais guère situables dans une époque précise. La belle distribution du spectacle a beau tenter de donner vie à l’effondrement de la petite société tchekhovienne, elle se retrouve prisonnière de ce cadre peu déterminé. Si l’on sent que chaque personnage entretient un rapport très personnel au passé et au temps qui passe, les comédiens peinent à faire vivre le groupe hétérogène qui se prépare à la vente du domaine. Le couple central formé par Lioubov et Lopakhine est à l’image de l’ensemble : s’il est sensible que ces deux-là n’appartiennent pas au même monde, c’est grâce à des signes trop superficiels pour atteindre à la grande complexité des relations qui se nouent et de celles qui se meurent dans La Cerisaie. L’un court sans cesse ; l’autre se pâme, dans une hyperthéâtralité qui laisse peu de place au sentiment de perte et aux tentatives d’évasion, de distraction qui la caractérisent. Les deux, et ceux qui les entourent, évoluent à côté de l’esprit russe de Tchekhov, enfermé peut-être dans une salle qui nous reste cachée, tout près et pourtant lointaine.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

La Cerisaie d'Anton Tchekhov dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger
du samedi 13 novembre 2021 au dimanche 6 février 2022
Comédie-Française Salle Richelieu
Place Colette, 75001 Paris

du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 14h. Durée de la représentation : 2h. Tel : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr

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