La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Macha Makeïeff

Macha Makeïeff - Critique sortie Théâtre
Crédit portrait : France Keyser

Publié le 10 mars 2012 - N° 196

Classieux et déclassés

Dans un vieux Nickelodeon, des artistes font revivre la gloire fantasque et chancelante d’un music-hall réinventé : Macha Makeïeff célèbre apaches classieux et acteurs déclassés de la Belle Epoque.

Pourquoi faire retour à cette époque et à ses héros ?

Macha Makeïeff : C’est un point de départ que cette longue rêverie autour de Colette, de Claude Cahun, de Mireille Havet, ces femmes libres qui traversent une époque entre les deux cataclysmes que sont les guerres mondiales, et vivent l’élan vers la scène à la fois comme un déclassement social et comme un exercice de la liberté. Elles disent la condition malcommode, inconfortable, presque tragique des artistes de music-hall. Il y aussi des Mémoires d’Amélie Elie, Marguerite Moreno ou Polaire, passant du café-concert au théâtre, de la petite scène à la grande, du milieu mondain à des numéros de music-hall, du trottoir à la scène. Toutes ces figures qui participent du phénomène Dada et du surréalisme, et tous ces artistes anonymes des petites scènes oubliées. Les images des plateaux de cinéma des années 20, où passaient les mêmes artistes, Géraldine Farrar, Lilian Guish, Mary Pickford. Toutes ces images m’ont accompagnée dans une sorte de préméditation poétique et rêveuse de ce spectacle. Après, tout le reste est très concret.

Pourquoi lier acteurs et voyous ?

M. M. :  La condition des artistes de music-hall, au début du XXème siècle, en fait des déclassés sociaux, comme les voyous qui se mettent eux aussi en scène dans une désespérance qui s’expose. Il y a alors cette fascination réciproque entre les artistes et les voyous. Ces nervis dandys ultraviolents du début du siècle ont inspiré à la scène, au cinéma, un style apache. Cette fascination entre voyous et artistes continuera, jusqu’à Pasolini, Genet, d’autres. J’en parle à ma façon, avec une écriture burlesque, même si le fond est sombre. Ce qui m’intrigue, c’est la vaillance de l’artiste et la fragilité de son destin.

« Ce qui m’intrigue, c’est la vaillance de l’artiste et la fragilité de son destin. »

Quel est l’argument du spectacle ?

M. M. : Pourquoi est-ce qu’on entre en scène et pourquoi à ce moment-là ? Même quand le monde craque, on y va. Les Apaches, c’est une troupe d’artistes plutôt malmenés qui habite un Nikelodeon délabré, entre music-hall  finissant et premier cinéma d’images tremblantes. C’est un lieu fragilisé comme après un cataclysme, et ces personnages vont tâcher, malgré l’hostilité des lieux, de faire leurs numéros, au moins ils s’y préparent. Ils rêvent du Nouveau monde, de la grande traversée. J’aime être allusive : il ne s’agit pas d’une reconstitution historique, mais d’inviter les fantômes qui me hantent. Faire entendre le bruit d’un lieu qui se défait, la virtuosité et les maladresses des artistes, mais aussi leur permanence. Après tout, que reste-t-il de ces vies de comédiens, de mimes, de danseuses de revue, de ces lieux de spectacle ? On joue avec ces sautillements de la mémoire, avec les traces, cette mémoire des gestes du spectacle.

De quoi décidez-vous en premier ? Du décor ou de la mise en scène ?

M. M. : C’est la même chose. Inventer le décor, c’est déjà faire un pas vers la mise en scène, une façon d’y être. Le théâtre, c’est toujours le partage, même s’il y a d’abord une préméditation poétique et personnelle. Il s’agit de préparer, rassembler les conditions de  l’invention. Pour moi, le geste artistique est d’abord plastique : objets, espace, couleurs, tissus. Souvent, à l’origine de mes spectacles, j’ai l’idée d’un lieu : c’est ça qui crée le début de la machine. Arrive alors la troupe, hétéroclite, virtuose,  joyeuse, dans ce lieu. J’aime les acteurs heureux et mêlés, acrobates, chanteurs, danseurs, comédiens, musiciens. J’aime vraiment les acteurs de ce spectacle.

Pourquoi, alors que vous êtes désormais installée à La Criée, créer un spectacle sur ces déclassés ?

M. M. : Trouver toujours un nouveau terrain d’aventure, l’inventer avec obstination. Comme artiste, on est de nulle part. Marseille est inspirante et j’y retrouve les images qui m’ont marquées, des visages frappants, cette idée de l’ailleurs. Mon goût va vers les destins fragiles et magnifiques. C’est cela que j’aime dans ces êtres dont j’ai envie de faire des héros.

Propos recueillis par Catherine Robert


Les Apaches, de Macha Makeïeff. Du 13 au 30 mars 2012. Mardi et mercredi à 19h ; jeudi, vendredi et samedi à 20h ; dimanche à 15h ; relâche le 18 mars. La Criée – Théâtre National de Marseille, 30, quai de Rive Neuve, 13007 Marseille. Tél : 04 91 54 70 54. En tournée en France jusqu’en décembre 2012.

A propos de l'événement

Marseille

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