Quills
Deux ans après avoir créé Quills au Québec, [...]
Stéphane Braunschweig agence une mise en scène intelligente et efficace de Macbeth, servie par d’excellents comédiens. Une très belle réflexion sur le pouvoir et les arcanes de l’âme humaine.
Sorcières sur la lande, combats boueux et assassinats sanglants, forêt mouvante et châteaux fortifiés : le premier défi de la « pièce écossaise » est d’abord scénographique. Stéphane Braunschweig, brillant concepteur d’espaces, réussit magistralement à régler ce problème : les différents tableaux se succèdent avec une fluidité qui offre une grande cohérence à la fable. Le texte de Shakespeare supporte un traitement modernisé qui en suggère, sans lourdeur, une lecture psychanalytique : le spectateur est plongé dans la tête de Macbeth. La cuisine est comme l’arrière-chambre inconsciente de son esprit malade. On y conserve les couteaux homicides, les sorcières y apparaissent et la faïence blanche de ses murs semble pouvoir permettre de laver à grande eau les traces sanglantes des meurtres en série. L’autre espace, celui des salons du pouvoir, s’organise autour d’une longue table recouverte de fleurs et de vaisselle fine. Seule l’ouverture inopinée des portes de la censure y fait pénétrer les fantômes des victimes, comme un retour du refoulé, à la fois terrifiant et grotesque.
Monstre entre les monstres
Macbeth, bourreau de lui-même et des autres, est taraudé par des remords et des doutes qui sont autant de symptômes. Il parvient à conquérir le pouvoir, mais ne s’y maintient pas : il manque d’un surmoi suffisamment solide pour assurer la cohérence de son psychisme, au contraire de Malcolm, le fils de Duncan. Celui-ci offre une magistrale leçon politique à Macduff (excellente scène entre Roman Jean-Elie et Jean-Philippe Vidal), en lui montrant comment la raison peut utiliser les passions, à condition de les maîtriser. Macbeth apparaît alors comme le lieu d’une mutation du politique, qui change de forme sans changer de finalité. Une fois relégués les chaudrons bouillonnants des sorcières et les affects fougueux des chefs de guerre, on gouvernera en costume de ville (fine suggestion du judicieux travail de Thibault Vancraenenbroeck). Aux soudards de l’ordre ancien le soin de nettoyer la place avec des poignards, que les puissants rechignent désormais à manier ! Le couple Macbeth (excellents Adama Diop et Chloé Réjon), tout abominable qu’il est, en devient presque sympathique. Victimes du destin et de leurs pulsions, ils sont aussi les jouets du cynisme de ceux qui les remplacent, infiniment plus policés, mais pas moins dangereux. La politique moderne est là : souriante, apparemment bienveillante, mais sarcastique et sournoise. Choisissant de ne pas caricaturer les Macbeth comme les monstres qu’on voudrait qu’ils soient, Stéphane Braunschweig et les siens composent un spectacle dont la beauté recèle une redoutable et brillante leçon politique.
Catherine Robert
Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 15h. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 2h45 avec entracte.
Deux ans après avoir créé Quills au Québec, [...]