Nicomède
Brigitte Jaques-Wajeman parachève son cycle [...]
Dans l’intimité du pouvoir, une réécriture de Richard III
Monstre sanguinaire, incarnation du mal absolu, Richard III n’en finit pas de promener son hideuse silhouette dans la mémoire théâtrale. L’auteur flamand Peter Verhelst s’empare de la tragédie de Shakespeare pour en extraire le poison et la beauté furieuse. Ludovic Lagarde et ses fidèles comédiens exhalent les arômes vénéneux de cette puissante décoction…
Comment Peter Verhelst s’empare-t-il de la pièce de Shakespeare ?
Contrairement à Heiner Müller ou Carmelo Bene, qui ont fait exploser les textes de Shakespeare, Peter Verhelst reprend linéairement la trame narrative et procède à une réécriture, dans une langue poétique et très concrète. Il concentre l’intrigue, réduit le nombre de personnages et insère une voix-off qui donne les faits hors-champ, les conséquences politiques et criminelles de Richard III, permettant ainsi de faire progresser la narration en quelques répliques. Par cette compression et cette accélération, fondées sur une analyse dramaturgique d’une extrême finesse, il touche la quintessence de Richard III. Il peut également glisser des inserts et faire des « gros plans » sur les personnages, en particulier sur les femmes, déjà très présentes dans le drame shakespearien. La pièce s’ouvre sur le « chant de la mère » qui livre des détails privés, tels que son accouchement, son rapport avec son fils, les traumas du roman familial…
« Par cette compression et cette accélération, fondées sur une analyse dramaturgique d’une extrême finesse, il touche la quintessence de Richard III. »
Qu’apporte cet éclairage sur le « cas » Richard III ?
Il jette une lumière très contemporaine sur l’effet « loft » de notre modernité. A une époque où les personnalités politiques montrent, voire mettent en scène leur intimité, et cherchent à susciter un phénomène d’identification en donnant l’image de gens ordinaires, avec des problèmes de vie de tout un chacun, la pièce dévoile la réalité reléguée en hors-champ. Cette exposition, proche du docu-fiction ou de la confession parfois, peut donner aux personnages des accents d’humanité ou au contraire pointer leur obscénité. Le parcours de Richard nous apparaît ici du point de vue intime, d’autant plus que nombre des péripéties historiques ont été gommées. Son physique n’est plus monstrueux, comme chez Shakespeare, mais il n’en est pas moins un monstre, par sa parole et les crimes qu’elle produit.
Richard III invoque pourtant sans cesse son idéal de pureté pour conquérir le pouvoir…
Il est mû par le désir du pouvoir, plutôt que par l’idée de son exercice concret. Son ambition ne repose sur aucun projet, sur aucune idéologie cohérente. Il pousse jusqu’au fondamentalisme son idéal de pureté, qui s’origine dans un trauma personnel, un désir de se purifier lui-même… Il cite Martin Luther King, Gandhi, Nelson Mandela ou Bill Clinton, quand il a besoin de convaincre de sa bonne foi et d’alimenter son discours. L’absence totale de vision politique, alliée à un génie tactique foudroyant, une rapidité d’exécution et une soif dévorante de conquêtes, en font un personnage encore plus effrayant, presque enfantin.
Comment ce texte se travaille-t-il sur le plateau ?
Nous cherchons avec les acteurs un vocabulaire théâtral empreint de réalisme mais retravaillé pour introduire une distance et suggérer les échos avec aujourd’hui sans nous enfermer dans la satire politique. Notre époque baigne dans une confusion, très tendancieuse, où politique, glamour et morale sont étroitement mêlés, où la question de la représentation se déplace dans la société du spectacle. Depuis le 11 septembre, nous avons vu ressurgir les figures du diable, du super-héros, toute une imagerie enfantine tirée de la religion et de l’univers de Walt Disney. L’esthétique du spectacle essaiera de questionner cet endroit du politique.
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