La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien avec James Thierrée
L’innocence contre la nostalgie

Musique baroque

Suite et fin du cycle de concerts des Arts Florissants à la Cité de la Musique.

Publié le 10 mai 2007

Arpenteur des songes, James Thierrée façonne son univers aux confins des arts
du cirque, du théâtre et de la danse. Il puise dans le merveilleux bric-à-brac
d’une enfance passée sur la piste aux étoiles pour composer un langage tout
personnel. Avec Au revoir parapluie, le petit-fils de Charlot, filiation
célèbre dont il ne veut tirer aucune gloire, embarque pour un nouveau voyage :
un moment de grâce

Vous aimez à dire que vos spectacles ne se racontent pas. Par où commencer
alors ?

Peut-être par quelques images qui ont attisé mon imaginaire et esquissé les
premiers axes de recherche : le mythe d’Orphée, son retour aux enfers, le
passage de la porte, l’interdiction de se retourner et de regarder Eurydice?
Aujourd’hui, ces figures n?apparaissent pas dans le spectacle mais elles ont
imprimé leur dynamique physique sur la trame. Il est question d’un voyage, d’une
plongée dans le passé, d’un homme en quête d’une femme qui disparaît sans cesse,
d’une maison, d’un enfant, d’une lutte contre le destin? Au spectateur ensuite
d’écrire son histoire en tissant des liens avec son vécu et ses rêves.

Comment la fiction se construit-elle avec les artistes de la troupe ?

Durant un an, j’ai griffonné dans un carnet des pensées, des envies, j’ai
imaginé des silhouettes de personnages, tracé les lignes d’une structure
narrative. Lors des répétitions, nous partons de ces notes et nous tirons le fil
d’une idée, d’une situation, qui se métamorphose, parfois déraille, par
glissement, digression, rebondissement. Viennent se greffer des visions
étranges, surréalistes ou loufoques. Chaque artiste apporte sa personnalité, sa
fantaisie, ses compétences. J’écoute ce qu’exprime la fusion ente le canevas
narratif initial, les numéros, les accessoires, les séquences visuelles,
musicales, les envies de textures, etc. Un spectacle veut naître et j’essaie de
le trouver. Il se construit peu à peu et continue d’évoluer, de « vivre », au
fil des représentations.

Au revoir parapluie bascule dans un univers qui s’affranchit de la
normalité, où le merveilleux s’infiltre dans le quotidien.

Le théâtre m’a permis de donner une concrétude à des rêves d’impossible. Il
met en ?uvre des processus très concrets, que je sens dans mon corps par
l’effort physique, les blessures ou la rigueur qu’il exige, pour évoquer
paradoxalement un monde imaginaire, où s’évanouissent les lois de la gravité, la
fatalité du temps et les logiques rationnelles. Il crée un cocon, où un monde se
réinvente chaque soir à l’écart de la réalité, où se rejoue des fantasmes liés à
une part d’enfance, à mon enfance. Au revoir parapluie, pièce sans doute
la plus autobiographique, clôt un cycle entamé avec La symphonie du Hanneton.
C’est la fin du tour de manège.

L’innocence est-elle réservée à l’enfance ?

Elle est souvent teintée d’une connotation mièvre, sous-entendant le manque
de réflexion, l’immaturité, tout comme la « poésie », fourre-tout où l’on glisse
tout ce qui déborde le cadre normé du réel. Elle permet cependant de toucher des
sentiments d’une profondeur immense. Chacun possède en lui un espace
d’innocence, dont la vie adulte a encombré le chemin. Mais la porte n?est jamais
totalement blindée. Le renoncement au désir de découvrir, de s’étonner, me
semble terriblement mortifère.

Ce don d’émerveillement, cette capacité à être pleinement dans le moment
présent, préserve aussi de la nostalgie, un mal dans lequel se complet notre
époque?

Oui. Si la mélancolie est une façon de percevoir la vie, liée à la conscience
de la finitude, à une sensibilité exacerbée, la nostalgie, c’est le torticolis,
l’immobilisme. Un opium.

Entretien réalisé par Gwénola David

Au revoir parapluie, de James Thierrée, du 16 au 30 mai, à 20h30 sauf
dimanche à 15h, relâche lundi, au Théâtre de la ville, 2 place du Châtelet,
75004 Paris. Rens. 01 42 74 22 77 et
www.theatredelaville-paris.com.

A propos de l'événement


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