Lontano, conception Marica Marinoni et Juan Ignacio Tula

L’exploration de la roue Cyr en tant que territoire circassien à part entière, comme agrès placé au cœur d’une dramaturgie, est un phénomène récent qui doit beaucoup à Juan Ignacio Tula. D’abord accompagné par Stefan Kinsman, avec qui il crée Somnium (2015) et Santa Madera (2017), le danseur et acrobate né en Argentine et formé au Centre National des Arts du Cirque (CNAC) poursuit seul sa recherche dans Instante (2020). De cet agrès qui est l’un des plus récents de l’histoire du cirque – sans compter toutes les inventions de compagnies actuelles, qui pour la plupart ne vivent que grâce aux artistes qui les mettent au point –, l’artiste fait un partenaire dans une quête intérieure qui emprunte à des formes anciennes. Dans son cercle de métal de 15 kilos, il se livre à un mouvement giratoire quasi-ininterrompu qui évoque celui des Derviches tourneurs sans renier une fraternité avec le hula-hoop. À l’intérieur de son cadre bien défini, il invite l’inconnu, l’infini. S’il découvre dans la solitude des mondes inouïs, il ne renonce pas à la rencontre, à l’échange avec d’autres artistes qui partagent avec lui la passion de la roue Cyr, et son désir d’aller au-delà de ses usages connus pour repousser les limites du corps et de l’esprit. Marica Marinoni, qu’il découvre au CNAC où il enseigne, est de ceux-ci. On l’a découverte avec bonheur au festival Spring.

Casser la roue

Fruit de leur collaboration, son solo Lontano révèle autant ce que ces deux acrobates ont en commun que ce qui les distingue. Présenté à Spring en diptyque avec Instante – ce sera souvent le cas aussi par la suite, ce qui n’empêchera pas les deux spectacles de vivre séparément ou avec d’autres solos –, cette performance se place d’emblée sous le signe de la lutte, de la confrontation. Tandis que Juan Ignacio Tula prend son agrès comme partenaire, Marica Marinoni en fait un adversaire non pas à abattre, mais à dompter. Cette différence d’approche ne cache pas les raisons pour lesquelles les deux artistes occupent le même plateau, car quand bien même ils ne s’y retrouvent ensemble qu’après leurs deux solos, au moment du salut, c’est bien d’un partage qu’il s’agit. Avec ses gants de boxe et sa façon de se jeter sur sa roue, la jeune artiste a elle aussi tout l’air de se livrer à des gestes, à un rituel immémorial. Elle aussi a son motif qu’elle répète jusqu’au dérèglement, jusqu’à l’épuisement : tenant son agrès à bout de bras, elle lui fait décrire une figure qui la mène du sol vers les airs. Mais sa roue est moins docile que celle de Juan Ignacio Tula : si elle aussi semble atteindre une forme de transe, c’est en allant contre son agrès, en cherchant selon ses termes à en « casser les lois fondamentales ». Elle y réussit, pour en esquisser de nouvelles. Comme Instante, Lontano cherche à dépasser le quotidien, le commun. Pour accéder au vertige.

Anaïs Heluin