J’ai bien fait ?
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Mis en scène par Darius Peyamiras, le comédien Etienne Cottereau et deux musiciens s’approprient subtilement l’esprit et le corps de la poésie de Ghérasim Luca. Son singulier bégaiement.
« Pas pas paspaspas pas ». Avec ce balbutiement, Etienne Cottereau prend pied dans l’univers de Ghérasim Luca par son œuvre la plus connue, Passionnément (1947). Un texte qui fait dire à Gilles Deleuze du poète roumain, dont l’exil parisien commencé en 1950 se prolonge jusqu’à son suicide dans la Seine en 1994, qu’il « fait du bégaiement un affect de la langue, non pas une affection de la parole ». Et qu’avec lui, « c’est toute la langue qui file et varie pour dégager un bloc sonore ultime, un seul souffle à la limite du cri Je t’aime passionnément ». En jean et t-shirt blanc, tout près de la vingtaine de spectateurs que peut contenir la petite salle La Bohème du théâtre Les Déchargeurs, le jeune comédien affirme d’emblée un rapport très physique à la langue de Luca. Tandis que la compositrice, chanteuse et pianiste Jeanne Susin et le compositeur et violoncelliste Olivier Schlegelmilch qui l’entourent entament une partition faite de notes, de silences, de fredonnements et de coups frappés sur le dos de leurs instruments, il se lance comme on trébuche dans la déclaration d’amour que Ghérasim Luca a composée. Ou plutôt décomposée, car dans Passionnément comme dans la plupart des textes du poète, la syntaxe de la langue française dans laquelle celui-ci a très tôt choisi d’écrire est entièrement bouleversée. De même que sont renversés les fondements culturels et moraux de la société de l’époque. En particulier ceux de l’amour, sujet aussi du second poème qu’interprète Etienne Cottereau : L’Inventeur de l’amour, où l’impératif surréaliste de « réinventer l’amour » est formulé avec force. Et même dépassé.
Musique et bégaiement
Comme les nombreux « récitals » donnés par Ghérasim Luca à l’occasion de festivals de poésie, la mise en scène de Darius Peyamiras est avant tout affaire d’équilibre fragile, parfois conflictuel, entre la voix et le corps de l’acteur. Puis entre la scène et la salle, dont l’auteur de L’Inventeur de l’amour attendait un engagement concret. Un don qui réponde à celui du poète. Sans ignorer les assez nombreuses vidéos et enregistrements audios de ces performances, Darius Peyamiras parvient à éviter la tentation du mimétisme. S’éloignant souvent de son bégaiement initial pour s’essayer à d’autres formes de tâtonnements, Etienne Cottereau prouve qu’on ne peut être vraiment fidèle au maître qu’en s’appropriant librement sa matière. D’où son strip-tease où le travestissement du corps accompagne celui des mots. Davantage qu’une illustration de l’érotisme et de la subversion des poèmes de Luca, cette scène qui marque le passage au second poème du spectacle en est un signe. Pour dire le dépassement des règles sociales souhaité par Gherasim Luca, Darius Peyamiras et ses trois interprètes bousculent ce dernier avec autant de talent que de passion.
Anaïs Heluin
Les vendredis et samedis à 21h30. Tél. : 01 42 36 00 50. www.lesdechargeurs.fr
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