La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Lilo Baur

Lilo Baur - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Kostas Tsirouis

Publié le 10 mars 2011 - N° 187

Explorer les passions humaines

Fascinée par les passions humaines, Lilo Baur s’empare du Conte d’hiver, drame de la jalousie écrit par Shakespeare au crépuscule de son œuvre, et en explore les affres avec une troupe internationale.

Qu’évoque cette pièce pour vous et qu’est-ce qui vous a incitée à la mettre en scène ?
Lilo Baur : C’est une pièce qui parle des émotions humaines, de ces passions qui nous poussent. C’est l’histoire d’un homme qui devient jaloux. Mais cette jalousie est provoquée par lui-même, par sa propre imagination. Je suis fascinée par les passions humaines en général et encore plus fascinée par cet amour qui tourne mal. Rien ne nous prépare, au début de la pièce, à cette crise de jalousie : elle se produit après cinq minutes ! Et personne ne peut la contrer. Ce qui me fascine, c’est comment l’amour se mêle à la jalousie jusqu’au crime passionnel, comment de toutes petites choses peuvent pousser au pire. Mais en même temps, le propos n’est pas complètement noir : en effet, si la première partie décrit la jalousie de Léontes, la deuxième partie voit naître un amour, comme si le printemps refleurissait et la fertilité renaissait. Peut-être faut-il que le public voie que l’amour est à nouveau possible pour pardonner cette première partie cruelle et tyrannique…
 
Comment saisir l’unité d’une pièce aux effets et aux émotions si contrastés ?
L. B. : Le Conte d’hiver est une comédie tragique. Léontes va tellement loin dans la jalousie qu’il y a des morts sur sa route, mais les retrouvailles avec ceux qu’il aime, quinze ans plus tard, lui font comprendre ce qu’est vraiment l’amour et ce qui fait la valeur d’une relation. Il est frappant de constater combien, dans les quatre dernières pièces de Shakespeare, tout se joue autour de la réunion familiale et de la compréhension qui vient après que le temps a passé. Ce que j’aime surtout dans cette pièce, c’est sa fin. Ça n’est pas pour rien que cette pièce s’appelle un conte. On veut croire que la fin est une bonne fin. On aimerait croire à cet émerveillement. On est comme des enfants. C’est la seule pièce où Shakespeare écrit un coup de théâtre : le public n’est pas au courant que la reine est vivante avant les personnages alors que normalement, le public est toujours en avance.
 
« C’est une pièce qui m’émeut chaque année davantage ! »
 
Comment traitez-vous cette dimension du conte ?
L. B. : En commençant justement comme un conte. Le même acteur joue le clown et Mamillius, l’enfant qui meurt de la mort de sa mère. Au début de la pièce, il présente les choses, comme si tout était raconté du point de vue de l’enfant. Dans la deuxième partie, le même acteur joue le Temps. Tout au long de la pièce, on a l’impression que c’est un enfant qui raconte et fait apparaître et bouger les choses. Je recherche toujours ce côté enfantin et cette capacité à pouvoir s’émerveiller avec des histoires. Nous sommes tous toujours fascinés quand on nous raconte des histoires : c’est bien pour ça qu’on va au théâtre !
 
Comment avez-vous travaillé avec ces comédiens venus de langues et de pays différents ?
L. B. : J’avais déjà travaillé avec eux. A chaque fois que je travaille sur un thème, ici l’amour et la jalousie, j’improvise. J’ai besoin d’acteurs qui soient prêts à faire bouger le décor, les attentes, les psychologies, qui sachent trouver une fluidité pour évoluer dans la pièce. Pour y arriver, on choisit des thèmes autour de la pièce : ici, comment évoluent deux enfants grandis ensemble ; comment évoluent les relations entre deux hommes qui vieillissent ; comment la jalousie peut-elle naître entre eux ? Selon la nationalité des acteurs, j’improvise avec eux dans leur langue, en grec, en italien, en espagnol… Ici, on travaille en français, mais dès qu’il y a un doute, on clarifie le texte français avec l’original anglais.
 
Vous avez déjà monté cette pièce. Pourquoi la reprendre aujourd’hui ?
L. B. : C’est une pièce qui m’émeut chaque année davantage ! En vieillissant, on perd les gens qu’on aime, on vit différemment les réunions familiales. On mûrit, on n’a pas les mêmes responsabilités… Quand Léontes et Polixènes se retrouvent, c’est comme un festin ! Je trouve ça très fort ces retrouvailles ! Retrouver l’être aimé : c’est un thème qui me bouleverse et sur lequel je reviens toujours…
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Le Conte d’hiver, de William Shakespeare ; mise en scène de Lilo Baur. Du 29 mars au 9 avril 2011 à 20h30 ; les dimanches 3 et 10 avril à 15h. Théâtre de la Ville / Théâtre des Abbesses, 31, rue des Abbesses, 75018 Paris. Réservations au 01 42 74 22 77.

A propos de l'événement


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