La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

« Les yeux grands ouverts », une traversée familiale très maîtrisée de Pauline Cassan et Philippe de Monts

« Les yeux grands ouverts », une traversée familiale très maîtrisée de Pauline Cassan et Philippe de Monts - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville
Pauline Cassan et Philippe de Monts dans Les yeux grands ouverts. © Sébastien Bonnabel

Théâtre de Belleville / texte et mise en scène de Pauline Cassan et Philippe de Monts

Publié le 18 septembre 2023 - N° 313

Pauline Cassan et Philippe de Monts offrent une traversée très maîtrisée des affres des relations filiales. Un texte subtil, une mise en scène au cordeau et une interprétation bluffante.

Constance est partie vivre au Canada avec Jérémian. Elle revient chez ses parents à l’occasion de leur anniversaire de mariage. Sa mère se plaint de sa longue absence. Huit mois sans voir sa fille, une éternité… Si la phrase de Françoise Dolto, « les enfants sont les symptômes des parents » n’apparaissait pas en exergue de cette histoire apparemment banale, on ne prêterait sans doute pas attention à chaque mot et à chaque mimique, mais l’on est immédiatement plongé dans l’enquête et l’on sourit d’emblée. Si l’enfant part si loin, c’est sans doute parce que le rôle qu’on lui assigne est pénible : il lui faut vérifier qu’il n’est pas la clé de voûte de l’édifice névrotique parental. « Maman, tu vois pas que tout s’effondre là ? » demande Constance à sa mère, alors que la maison familiale prend l’eau et que la merde sort des canalisations. « Non ça tient ! Tout tient ! » répond sa mère. Constance peut enfin prendre sa mère au mot, cesser de croire à l’effritement, puisqu’elle sait que tout ne repose pas sur elle. Elle peut repartir construire un autre édifice avec Jérémian, et faire un enfant, car elle a compris qu’elle peut cesser d’en être un. Le propos de Pauline Cassan et Philippe de Monts n’est pas de révolutionner l’analyse des névroses, mais d’en montrer les effets. Ils le font avec finesse et justesse.

Guérir de son enfance

Les deux comédiens interprètent Jérémian et Constance, et sont aussi les parents de la jeune femme. Les doubles rôles suggèrent ainsi, sans l’appuyer, ce que l’analyse pourrait révéler : projections fantasmatiques et confusion des postures. Au spectateur de se faire enquêteur à mesure que les signes s’amoncellent et que les yeux se décillent. On se prend au jeu avec autant de malice que de frayeur : on ne peut échapper au spectacle terrible de la manière dont les familles réussissent parfois à se faire du mal en croyant bien faire. La mise en scène est fluide : deux chaises métalliques suffisent pour évoquer les différents meubles, accessoires et pièces de la maison. Les deux comédiens passent d’un personnage à l’autre avec souplesse. « L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. » disait Sartre dans Saint Genet, comédien et martyr. Autre citation qui, cette fois, conclut le spectacle, comme un appel à assumer la liberté de ses propres choix sans s’encombrer de ceux des autres, évidence que ce spectacle remarquablement composé et interprété rappelle avec force et intelligence.

Catherine Robert

 

A propos de l'événement

Les Yeux grands ouverts
du vendredi 1 septembre 2023 au jeudi 30 novembre 2023
Théâtre de Belleville
16, passage Piver, 75011 Paris

En septembre et octobre : mercredi et jeudi à 21h15, vendredi et samedi à 19h, dimanche à 15h. En novembre : du mercredi au samedi à 19h, dimanche à 15h. Tél. : 01 48 06 72 34. Durée : 1h25. A partir de 12 ans.

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