La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Alain Françon met en scène « Un Chapeau de paille d’Italie » de Labiche, au-delà des stéréotypes

Alain Françon met en scène « Un Chapeau de paille d’Italie » de Labiche, au-delà des stéréotypes - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Porte Saint-Martin
Le metteur en scène Alain Françon. © Michel Corbou

Théâtre de la Porte Saint-Martin / texte Eugène Labiche / mise en scène Alain Françon

Publié le 23 août 2023 - N° 313

Vincent Dedienne dans le rôle de Fadinard, des musiques du groupe Feu! Chatterton, Alain Françon à la mise en scène… Le Théâtre de la Porte Saint-Martin fait sa rentrée avec l’une des pièces emblématiques d’Eugène Labiche : Un Chapeau de paille d’Italie.

Qu’est-ce qui vous a mis sur la voie du théâtre d’Eugène Labiche ?

Alain Françon : Labiche est un auteur qui m’intéresse. Bien sûr, c’était un sale mec. Ce qu’il a pu dire sur la Commune est impardonnable. En même temps, il s’agissait d’un observateur incroyable de la petite bourgeoisie de son époque. Mais ce que je trouve finalement le plus intéressant dans son écriture, c’est la forme. Labiche donne l’impression d’être un auteur qui divague, qui s’abandonne totalement au gré de l’écriture. La parole, chez lui, ne tire pas au clair, elle laisse le sens se tarir. C’est un auteur qui annule le principe de non-contradiction d’Aristote. Il se situe plutôt du côté d’Héraclite, qui lui défendait l’unité et l’indissociabilité des contraires.

Comment cette chose-là s’exprime-t-elle au sein d’Un Chapeau de paille d’Italie ?

A.F.: L’intrigue de la pièce repose sur une mise en présence de l’adultère et du mariage. Dans cette histoire, l’un ne va pas sans l’autre. Ces deux notions d’apparence opposées tiennent ensemble : elles ne sont pas renvoyées dos à dos. Je trouve cela extrêmement fort. Comme je vous le disais, c’est la forme qui m’intéresse le plus chez Labiche. On dirait vraiment qu’il écrit sans cadre, que les paroles viennent comme elles viennent, que la pièce est en cours, qu’elle avance sans savoir comment elle va continuer… Il y a dans tout cela une grande liberté. D’une certaine façon, cela me fait penser à Proust, lorsqu’au tout début de la Recherche, le narrateur se réveille, en pleine confusion, pensant être ce qu’il était en train de lire en s’endormant, « une église, dit-il, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles Quint»…

Cette concomitance du mariage et de l’adultère génère une forme de crise…

A.F.: Exactement. Le mariage de Fadinard, qui devrait être un facteur de stabilité pour cette société petite-bourgeoise, crée du désordre et de la confusion… Le cheval du futur marié mange le chapeau d’une jeune femme en train de tromper son mari et tout va de travers, ce petit monde est perdu, complètement paniqué… Contrairement à ce que l’on entend souvent dire, Labiche n’est pas quelqu’un qui établit une critique acerbe de son siècle. C’est quelqu’un qui invente. Évidemment, en inventant, il parle de son temps. Mais il ne s’agit pas d’une mécanique d’écriture qui viserait à rendre compte de cela, à en produire un reflet. Labiche crée une poétique.

« J’essaie de sortir des stéréotypes de jeu et de la fausse compréhension qui colle souvent à ce théâtre profondément ambigu. »

Quel théâtre souhaitez-vous faire naître à travers cette poétique ?

A.F.: Peut-être un théâtre que j’assimilerais à un « rêve de jour »… Il y a une dimension presque cauchemardesque dans la situation que vit Fadinard. Et en même temps, tout cela est cause de réjouissance. Je crois qu’il faut une profonde crédulité, de la part des actrices et des acteurs, pour pouvoir jouer Labiche. Je ne parle pas d’une forme de naïveté, mais vraiment d’une crédulité de chaque instant. C’est un peu comme le théâtre de Feydeau. Si on ne croit pas à la situation, à ce qui est en train de se passer sur le plateau, alors, comme le disait Feydeau, autant rester chez soi…

Vous avez fait appel au groupe Feu! Chatterton pour composer les musiques des parties chantées…

A.F.: Oui, Le Chapeau de paille d’Italie alterne dialogues et parties chantées. Mais j’ai enlevé les chants qui intervenaient dans les scènes à deux personnages. Car je trouve qu’alors la pièce ressemble trop à une opérette. Je n’ai conservé que les chants du chœur de la noce, qui viennent rythmer ces scènes de groupe de façon complètement jubilatoire. J’ai la chance que ces musiques aient été écrites par mes copains de Feu! Chatterton. Ils ont travaillé de manière admirable, ont compris l’esprit de la pièce de façon incroyable.

Comment envisagez-vous le comique de Labiche ?

A.F.: J’essaie de sortir des stéréotypes de jeu et de la fausse compréhension qui colle souvent à ce théâtre profondément ambigu. Je crois que ce comique réside dans la légèreté. Ce qui ne veut pas dire que les thèmes ne sont pas traités, qu’il n’y a pas une certaine gravité. Tournons-nous de nouveau vers Héraclite et disons que le théâtre de Labiche est tout à la fois grave et léger !

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

« Un Chapeau de paille d’Italie »
du mercredi 27 septembre 2023 au dimanche 31 décembre 2023
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris

Du mercredi au vendredi à 20h, , le samedi à 16h et 20h30, le dimanche à 16h. Durée de la représentation : 2h. Tél. : 01 42 08 00 32. www.portestmartin.com

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre