Les précieuses ridicules
©Mention photo : Brigitte Enguérand :
Dan Jemmett signe une mise en scène très « show » où les comédiens étincellent
Mention photo : Brigitte Enguérand :
Dan Jemmett signe une mise en scène très « show » où les comédiens étincellent
Publié le 10 décembre 2007
L’excentrique Dan Jemmett débarbouille la farce de Molière pour en aiguiser le tranchant. Précieux s’abstenir !
Et bling ! Sans complexe, Dan Jemmett bastonne les us et coutumes, ébouriffant d’un geste libertaire la tradition bien peignée de nos chers « petits classiques ». Après avoir secoué Shakespeare et mitonné Middleton pour en tirer de sanglants éclats de rire, cet Anglais dynamiteur de textes – surtout les grands – s’attaque à notre Molière… La cible ? Les précieuses ridicules, farce que le père de l’Illustre Théâtre écrivit en 1659, un an après avoir lui-même débarqué à Paris, pour railler à grands traits la bêtise infatuée des mœurs de salons qui se donnent des manières de beaux esprits. Confinées dans le luxe pailleté d’un salon d’essayage très sixties, Cathos et Magdelon – la cinquantaine dûment ornée de satins roses, concombres et bigoudis, débagoulent comme des donzelles effarouchées sur leurs amants éconduits : les rustres avaient osé piétiner les sentiers (pourtant bien fléchés) de la Carte du Tendre, et, comble d’infâme outrecuidance, négliger rubans et plumes dans leur mise. Ils se vengeront en leur envoyant leurs valets en guise de marquis de Mascarille et Vicomte de Jodelet. Les deux blondins postiches aussitôt débarqués, clinquants comme des vignettes show-biz, voilà que les deux pèques, emperruquées dare-dare, pommadées, poudrées, gainées, décorées de brillants comme il se doit, se pâment sous la caresse affriolante des vers galants et se goinfrent des sucreries de ce langage mirliton.
L’art du décalage
Coincées dans l’apparence étriquée des gravures modes, l’âge copieusement plâtré, les deux vieilles filles semblent restées branchées sur le « buzzomètre » des années 60/70, comme si, prisonnières de leur bonbonnière molletonnée, elles marinaient dans leurs cucuteries d’adolescentes, les trompe-l’œil du microcosme littéraire et de la bourgeoisie « bling-bling ». Tandis que, dehors, la course du monde continue… Dans cette mise en scène échevelée, Dan Jemmett pratique l’art du décalage avec une liberté jubilatoire et une insolente pertinence. Les affèteries langagières de ces précieuses-là sont-elles si éloignées du snobisme intellectuel et du verbiage customisé des « fashionitas » qui vont « chopper » pour avoir le « must-have » des « peoplettes » et portent la littérature en sautoir ? « Les choses ne valent que ce qu’on les fait valoir. » dit Cathos. A ce jeu-là, les comédiens s’en donnent à cœur joie. Catherine Hiegel, irrésistible en mijaurée trahie par des remontées d’accents populo, Catherine Ferran, tout en minauderies, Pierre Vial, vieux beau fringant sous sa banane, Andrzej Seweryn, très rock’n roll et Serge Bagdassarian, imposant en galantin libidineux… jouent cette hilarante partie de faux-semblants sous le regard médusé de Véronique Vella. Réjouissant !
Gwénola David
Les Précieuses ridicules, de Molière, mise en scène de Dan Jemmett, jusqu’au 29 décembre 2007, à 20h, sauf mardi à 19h, dimanche à16h, relâche lundi, au Théâtre du Vieux-Colombier21, rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris. Rens. 01 44 39 87 00 / 01
et www.comedie-francaise.fr. Durée : 1h.