La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien / Valère Novarina

« Les Personnages de la pensée » de Valère Novarina, sur la vie, l’être, le non-être, la matière du langage…

« Les Personnages de la pensée » de Valère Novarina, sur la vie, l’être, le non-être, la matière du langage… - Critique sortie Théâtre Paris La Colline - Théâtre national
L’auteur-peintre Valère Novarina. © Raphael O'Byrne

La Colline – Théâtre national / texte, peintures et mise en scène Valère Novarina

Publié le 23 octobre 2023 - N° 315

Quatre ans après L’Animal imaginaire*, nous avons de nouveau rendez-vous avec l’univers foisonnant et réjouissant de Valère Novarina. L’auteur-peintre revient au Théâtre national de La Colline avec son nouveau texte : Les Personnages de la pensée*. Un texte au sein duquel il est toujours question de la vie, de l’être et du non-être, de la matière du langage…

Comment l’auteur que vous êtes passe-t-il d’un texte à l’autre ?

Valère Novarina : Lorsque je me mets à écrire un nouveau texte, je pars souvent de choses laissées de côté lors de l’écriture de mes textes précédents, comme si je récupérais des copeaux tombés de l’établi. Il peut aussi m’arriver de reprendre des scènes existantes pour les creuser, pour les approfondir, comme si le temps conférait à l’écriture une forme de maturité. Parfois, c’est vraiment trois fois rien : une seule syllabe peut modifier complètement l’édifice…

Pour vous, la notion de justesse veut-elle dire quelque chose ou envisagez-vous le texte comme une matière ayant vocation à sans cesse évoluer ?

V.N.: Oui, ça veut vraiment dire quelque chose. Je pense qu’entre un acteur et une page, il n’y a qu’un seul et unique endroit de justesse. On cherche d’ailleurs parfois beaucoup avant de le trouver. J’aime l’idée de travailler non pas par attention, mais par distraction, en allant d’une table à l’autre, comme dans le tir à l’arc zen ou dans la philosophie taoïste, lorsqu’on agit comme malgré soi.

On dit souvent que vous êtes un poète, que votre écriture est de la poésie. Vous sentez-vous à l’aise avec ces termes ?

V.N.: Pas du tout, je les ai en horreur ! Il y a, dans le mot de poésie, un côté auto-déclaration que je n’aime pas. Il s’agit d’un mot fétiche. J’ai pourtant lu, dans ma vie, beaucoup plus de poésie que de prose. Mais, je trouve qu’il y a une sorte d’idolâtrie dans l’usage de ce mot. On le prononce et on est tranquille… Sauf si on lui donne le sens d’ouvrier. En grec le verbe poiein signifie faire, fabriquer. Le poète devient donc celui qui fait une chose. Alors là, oui !

« J’écris ce que je ne pense pas encore… »

Quel rapport à la narration cette forme d’artisanat détermine-t-elle ?

V.N.: Les mots ouvrent des résonnances dans l’espace. Pour moi, la narration, c’est ce que le langage écrit, ce qu’il raconte de lui-même. Parfois, j’ai l’impression d’être condamné à écrire ce que j’écris, dans un état de passivité. Comme j’aime dire de façon un peu paradoxale : j’écris ce que je ne pense pas encore… Le langage est quelque chose de tout à fait mystérieux. Lorsque j’écris, j’ai la sensation de marcher sur une arête, sur un fil. Il faut prendre garde de ne pas tomber d’un côté ou de l’autre. L’écriture est une activité très délicate, il faut rester à un endroit très précis.

Comment choisissez-vous les actrices et les acteurs qui jouent dans vos spectacles ?

V.N.: Je choisis justement des interprètes dont le carburant est le langage et non la psychologie, des interprètes qui ont un rapport sensible aux mots, comme des musiciens. J’aime les actrices et les acteurs qui font respirer le langage, et par là même la pensée. Car je crois que la pensée humaine vient accomplir la respiration animale. La respiration se renverse, s’asphyxie, meurt et renaît… Le langage suit les mêmes mouvements, les mêmes renversements, elle repose sur les mêmes déséquilibres. L’écriture se nourrit de cela en brûlant les mots, en les rendant ardents. Il y a une physique vivante de l’écriture que les actrices et acteurs doivent activer.

Quel rôle jouent vos peintures au sein de vos créations ?

V.N.: Elles agissent énormément. J’ai depuis longtemps l’idée que la présence de mes peintures sur scène permet d’entendre autre chose de mes textes. Dans Les Personnages de la pensée, il y en a encore plus que d’habitude. Et elles sont assez violentes. Je crois qu’elles créent une forme d’inquiétude qui répond à l’inquiétude des phrases. Car beaucoup de choses assez sombres habitent mes textes. Il y a beaucoup de morts qui passent…

Pour autant, se dégage de votre théâtre une grande drôlerie…

V.N.: Oui, car il est libérateur. Contrairement à Baudelaire, qui disait que le rire est satanique, je crois, moi, qu’il est baptismal. Le rire est comme une douche de langage qui touche le spectateur dans son corps. Chacun est atteint individuellement. Le public n’est pas un troupeau. Face à une scène, un spectateur entre en contemplation, un autre rigole, un troisième baille… Le théâtre est une force électrique.

* Les textes de Valère Novarina sont publiés aux Éditions P.O.L.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Les Personnages de la pensée
du mardi 7 novembre 2023 au dimanche 26 novembre 2023
La Colline - Théâtre national
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Du mardi au Samedi à 19h30, le dimanche à 15h30. Relâche exceptionnelle le 12 novembre. Durée de la représentation : 3h30 avec entracte. Tél. : 01 44 62 52 52. www.colline.fr

Également du 13 au 27 janvier 2024 au Théâtre National Populaire à Villeurbanne, le 30 janvier à la Maison des Arts du Léman à Thonon-les-Bains.

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