La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Fausses Confidences

Les Fausses Confidences - Critique sortie Théâtre
© Brigitte Enguérand Légende : Pierre Arditi et Anouk Grinberg, formidables interprètes. Manipulation et confusion des sentiments apparaissent dans toute leur théâtralité.

Publié le 10 avril 2010

Une admirable leçon de théâtre, révélant avec élégance et maestria toute la puissance et la finesse de la langue de Marivaux.

D’une élégance infinie et précise, d’une maîtrise remarquablement aboutie donnant à voir les rouages de l’art théâtral comme ceux du langage, donnant à voir aussi cet implacable combat qui dans toutes les pièces de Marivaux se noue entre les élans du cœur et les normes sociales, la mise en scène de Didier Bezace est un pur plaisir de spectateur. Araminte, jeune, belle et riche veuve, à qui sa mère destine un Comte, aime malgré elle et sans se l’avouer Dorante, jeune homme “incomparable“ de bonne mine mais désargenté, fou d’amour pour elle, devenu son intendant par l’entremise du valet Dubois. Va-t-elle reconnaître ses sentiments ? Va-t-elle passer outre des exigences sociales impérieuses ? Le conflit entre sentiments et règles sociales s’apparente à une découverte de la vérité de l’amour, et de la connaissance de soi, un enjeu existentiel majeur, ici éminemment théâtral, qui n’a rien perdu de son actualité. Le piquant de la pièce tient à la présence omnisciente de Dubois, valet entremetteur et calculateur, véritable double de l’auteur, qui croit à juste titre en son pouvoir.

« Allons faire jouer toutes nos batteries ! »
Pierre Arditi est parfait dans ce rôle jubilatoire. « Allons faire jouer toutes nos batteries ! » s’exclame-t-il, et toute cette prodigieuse mise à nu qui se déploie et pourrait être cruelle dissèque la puissance de l’amour, entre crispations, dissimulations, mensonges – aux autres et à soi -, aveux enfin, signant l’heureux et radieux dénouement. Anouk Grinberg en Araminte, raidie contre la pression sociale et l’autoritarisme maternelle, raidie tout autant et chamboulée face au sentiment amoureux qui la saisit, est formidable. Et la distribution  – Isabelle Sadoyan (Mme Argante, la mère), Christian Bouillette (Monsieur Rémi), Jean-Yves Chatelais (Le Comte), Robert Plagnol (Dorante), Marie Vialle (Marton) – épate par son équilibre. D’autant que la mise en scène montre savamment toute la force comique du texte, sans afféterie ni coquetterie. La vérité de ces portraits et de ce complot du coeur dépasse la psychologie et l’ancrage social pour révéler la remarquable force des mots. Un petit chien charmant se mêle même à ce ballet saisissant et joyeux. La scénographie de Jean Haas, à la fois réaliste par ses emprunts directs au XVIIIe siècle, abstraite ou plutôt magique dans sa façon de jouer avec ce réalisme et de célébrer l’illusion du théâtre, très suggestive aussi, participe à la réussite du spectacle et à l’essence du jeu, ici magnifié. Une formidable leçon de théâtre, et une formidable leçon d’amour du théâtre !
 
Agnès Santi


Les Fausses Confidences de Marivaux, mise en scène Didier Bezace, du 9 au 15 avril à 20h30 sauf le 11 avril à 16h et le 15 à 19h30, relâche le 12, au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Place G. Pompidou. Tél : 01 30 96 99 00. Spectacle vu au Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Durée : 2h10.

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