La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Eaux et forêts

Les Eaux et forêts - Critique sortie Théâtre Lyon Célestins – Théâtre de Lyon
Brigitte Catillon, Catherine Matisse et Charlie Nelson dans Les Eaux et forêts. Crédit : Eric Didym

Tournée / de Marguerite Duras / mes Michel Didym

Publié le 24 janvier 2018 - N° 262

Instantané métaphysique : Michel Didym réunit trois comédiens alertes, allègres et brillants dans une des premières pièces de Marguerite Duras, dont la drôlerie et la profondeur n’ont pas pris une ride.

« Cette piécette a ceci de particulier qu’elle est écrite dans le style le plus plat avec des vulgarités de vaudeville et qu’il ne s’y passe rien. », écrivait Jean Dutourd dans France-Soir, le 8 octobre 1965, à la création de la pièce de Marguerite Duras. D’autres critiques, un tantinet plus subtils, parlaient d’un Godot au féminin. Il ne se passe en effet pas grand-chose dans Les Eaux et forêts : le chien de Marguerite Victoire Sénéchal a mordu un piéton ; Jeanne Marie Duvivier est témoin de l’attaque et les deux femmes proposent de se rendre à l’Institut Pasteur pour vérifier l’état du mollet de la victime ! Les trois passants, arrêtés pour une heure, passent donc le temps pendant que la nuit tombe doucement sur Paris et il ne se passe rien… Pourtant, il se dit bien des choses, et on découvre petit à petit que ces êtres ordinaires (« Nous connaissons ces gens. C’est du monde, c’est de la matière humaine qui court les rues, se rassemble, se sépare, trotte sur ses petites jambes de fer, à la Bastille, Champs-Elysées, Concorde et ailleurs. », dit Duras pour présenter la pièce) sont infiniment plus complexes qu’il n’y paraît à première vue. Un meurtre avoué, des mensonges éventés, la misère sans joie d’une existence maritale ennuyeuse : les rombières à roquet et à petit tailleur bien sage et les arpenteurs de bitume deviennent héros tragiques et clowns métaphysiques, à condition qu’on les écoute.

Sublimes et pitoyables, forcément…

Le décor imaginé par Anne-Sophie Grac installe les comédiens devant une immense vue de Paris : l’illusion est totale mais la scénographe avoue avec humour comment elle a changé la vue originale. De même, l’univers sonore inventé par Philippe Thibault et Gauthier Collin mélange les sons de ville et les sons de jungle. Mais rien n’est évident d’emblée. Tel est l’apparent réalisme du texte de Duras : on se croit au coin de la rue et on se retrouve chez Beckett et Tchékhov, tant l’art sait se faire le rival du naturel. La mise en scène de Michel Didym adopte la même malice : aboiements et chien sur scène au début et, à mesure que les répliques égratignent le masque des personnages, apparition d’une humanité loufoque et poignante que les comédiens révèlent progressivement. Brigitte Catillon, Catherine Matisse et Charlie Nelson sont excellents : fins et déliés, n’appuyant aucun effet. Virevoltant entre les mots en déjouant leur feinte simplicité, ils s’emparent de cette partition subtile pour jappements et murmures avec un immense talent.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Les Eaux et forêts
du mardi 27 février 2018 au samedi 10 mars 2018
Célestins – Théâtre de Lyon
4, rue Charles-Dullin, 69002 Lyon

En tournée dans toute la France jusqu’à fin 2018 (voir le site) et au Théâtre des Célestins, 4, rue Charles-Dullin, 69002 Lyon. Du 27 février au 10 mars 2018. Du mardi au samedi à 20h30. Tél. : 04 72 77 40 00. Durée : 1h10. Spectacle vu à La Manufacture – CDN Nancy-Lorraine. Site : www.theatre-manufacture.fr

 

 

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