Les Soldats / Lenz
Théâtre 71 / d’après Jakob Lenz et Georg Büchner / mes Anne-Laure Liégeois
Publié le 24 janvier 2018 - N° 262
Anne-laure Liégeois met en regard deux classiques de la littérature allemande : Les Soldats de Jakob Lenz et Lenz de Georg Büchner. Des souffles du politique à ceux du poétique, une double immersion dans les troubles de l’humain.
Elle aurait pu s’en tenir aux mésaventures de Marie, personnage poignant qui, au centre des Soldats (pièce écrite par le dramaturge allemand Jakob Lenz en 1775), subit les outrages d’une société considérant comme peu de chose d’une part sa condition de femme, d’autre part sa condition de fille de commerçant. Mais Anne-Laure Liégeois tenait autant à éclairer la puissance politique de cette œuvre lyrique, violente, que l’éclat poétique ressortant de la personnalité et du destin de son auteur. La metteure en scène a donc imaginé une double représentation au cours de laquelle Lenz – nouvelle de Georg Büchner qui dresse, en 1835, un portrait de Jakob Lenz en relatant l’un des épisodes tourmentés de son existence – succède à l’inéluctable descente vers le drame des Soldats. C’est après un entracte, au sein de l’espace dépouillé de la première partie du spectacle (la scénographie d’Anne-Laure Liégeois déploie un plateau vide au fond duquel se dresse un fragment de salle de théâtre), qu’Olivier Dutilloy et Agnès Sourdillon s’avancent et font s’élever, à tour de rôle, le texte de Büchner.
Le droit à affirmer qui l’on est
Tous deux sont remarquables, à la fois telluriques et aériens. Ils rendent compte de façon inspirée des tourbillons de Lenz. Inspirés, les quatorze comédiennes et comédiens qui leur donnent la réplique lors des Soldats le sont tout autant. Ils se glissent dans la peau de musiciens de fanfare (les compositions sont de Bernard Cavanna), dans les costumes de personnages aux interactions très corporelles (les chorégraphies sont de Sylvain Groud). Cette troupe pleine de jeunesse forme un art brut : un art à hauteur d’humanité. Comme en contrepoint à ces accents concrets, les souffles de Lenz se révèlent, eux, entièrement déréalisés. A travers cette double proposition, Anne-Laure Liégeois donne vie à deux formes opposées de théâtres. Deux expressions complémentaires qui pointent du doigt des mêmes difficultés à trouver une place dans le monde. En effectuant ce grand écart, la directrice de la Compagnie Le Festin signe non seulement une belle célébration du théâtre, mais aussi un saisissant plaidoyer en faveur du droit à affirmer qui l’on est, à accomplir le chemin de ses rêves et de ses ambitions.
Manuel Piolat Soleymat
A propos de l'événement
Les Soldats / Lenzdu mardi 23 janvier 2018 au vendredi 2 février 2018
Théâtre 71
3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff.
Le mardi et le vendredi à 20h ; le mercredi, le jeudi et le samedi à 19h30, le dimanche à 16h. Spectacle vu lors de sa création, le 9 janvier 2018, à la Maison de la Culture d’Amiens. Durée de la représentation : 3h15 avec entracte. Tél. : 01 55 48 91 00. www.theatre71.com.
Egalement du 6 au 10 février 2018 au Grand T à Nantes, les 13 et 14 février à la Scène nationale du Havre, le 20 février à Mons Arts de la Scène, le 3 mars à la Scène conventionnée de Châtellerault, les 7 et 8 mars à la Scène nationale d’Alès, du 20 au 22 mars au Théâtre de l’Union à Limoges, du 27 au 29 mars au Théâtre Dijon Bourgogne.