Un Ennemi du peuple
Reprise au Théâtre Daniel Sorano de la pièce [...]
En montant le texte de Ionesco au pied de la lettre, Bernard Levy signe une mise en scène bouleversante de poésie et d’humanité avec deux comédiens lumineux : Thierry Bosc et Emmanuelle Grangé.
Il ne faut pas toujours écouter les auteurs. En écrivant Les Chaises, cette histoire d’un vieux recevant avec sa femme des invités imaginaires pour leur adresser son ultime message, Ionesco souhaitait que sa pièce soit jouée par des acteurs jeunes. Ce n’est pas l’option retenue par Bernard Levy qui a fait appel à son acteur fétiche, Thierry Bosc, et à Emmanuelle Grangé. Un choix qui se révèle judicieux et participe de la volonté du metteur en scène de monter le texte en le prenant au pied de la lettre. Le cadre dans lequel il plante son décor est réaliste. Réaliste le lampadaire suranné, réalistes les chaises dépareillées, réaliste le buffet vieillot. Est-on dans une maison de retraite, dans l’intimité d’un HLM ou même sur une scène de théâtre ? L’important est ailleurs. Paradoxalement, c’est cette concrétude des choses qui ouvre sur la poésie. En dégageant la scénographie d’une abstraction métaphysique, le spectacle donne à voir deux petits vieux bouleversants de tendresse. Ces deux-là s’affublent de surnoms comme « mon chou » ou « ma crotte », radotent parfois, ont des trous de mémoire souvent, se connaissent par cœur, s’aiment certainement, et ont su préserver leurs jardins secrets : la nostalgie du Vieux pour la Belle ou les désirs fantasmatiques de la Vieille (une des scènes les plus poignantes du spectacle).
Certaines scènes mettent K.O.
Qu’est-ce que ce message qui doit être livré au monde comme un impératif catégorique ? Qui sont ces invités invisibles ? Qu’est-ce qui ressort de l’imagination, de la folie ou de la maladie d’Alzheimer ? Bernard Levy laisse ces questions ouvertes. En cela il respecte la complexité du texte de Ionesco, et grâce à l’humanité et la tendresse qu’il lui insuffle, il le transcende, lui faisant atteindre une universalité rarement à l’œuvre dans les mises en scène de cet auteur. Si tout le spectacle, servi par deux comédiens magnifiques, frappe par sa justesse et sa fluidité, certaines scènes mettent carrément K.O., surtout quand résonne la musique de Philip Glass. On a l’impression d’être devant la vie qui passe, de percer, l’espace d’un bref instant, le mystère de la condition humaine et de la vieillesse. Une vision fine, intelligente et sensible d’un metteur en scène trop peu reconnu malgré la qualité constante de son travail, que ce soit au théâtre (ses Beckett à l’Athénée) ou à l’opéra. Si de certains artistes, on dit qu’ils sont à suivre, de celui-là on a envie d’ajouter qu’il est à soutenir. Avis aux programmateurs.
Isabelle Stibbe
Du 19 mars au 14 avril 2019. Du mardi au samedi à 20h. Le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 74 99 61. Durée : 1h15.
Reprise au Théâtre Daniel Sorano de la pièce [...]
Sous la direction de Stanislas Nordey, Damien [...]