Bêtes de foire
« Un vrai cirque aux proportions réduites » : [...]
Reprise d’un sommet circassien : Le Vide / Essai de cirque conçu et interprété par Fragran Gehlker.
Le cirque contemporain s’impose aujourd’hui comme un art qui vient puissamment régénérer les arts de la scène. En peu de paroles, quelques images saisissantes, et un subtil dosage entre la performance technique, l’intelligence dramaturgique et une sensibilité toute simple, ce spectacle démontre en effet, s’il en était encore besoin, que le cirque est capable de véhiculer sur scène au moins autant de sens, d’émotions et de beauté que ses disciplines cousines de la danse et du théâtre. Au moins autant, voire plus. Car le cirque renouvelle des formes de la scène qui ont tendance à s’user et parce qu’au cirque, on ne peut pas tricher : le risque que court l’acrobate est bien réel et la dureté du métier – le travail incessant de la technique – est toujours en toile de fond. Ainsi, quand Fragan Gehlker regarde ses mains, qu’il frotte discrètement après un passage à la corde, il le rappelle. Et quand ce même Fragan Gehlker s’envole, saute aux yeux le caractère exceptionnel des circassiens, demi-dieux qui magnifient nos capacités physiques et défient les lois de la gravité. Entre ces deux extrêmes – douleur et dépassement – circule toute la beauté de cet art.
Un fil qui relie la Terre au Ciel
C’est sous le signe du fameux Mythe de Sisyphe de Camus que se place Le Vide…, qui plaira néanmoins aux grands comme aux petits. Des cordes pendent du toit et certaines tombent. Comme le héros condamné à rouler son rocher pour avoir trop aimé la vie, Fragan Gehlker serait lui aussi parti pour monter et descendre absurdement ces cordes si lui et ses acolytes, Alexis Auffray sur la piste et Maroussia Diaz Verbeke à la dramaturgie, ne savaient donner du sens à leur art. Drôle parce que jouant avec la peur des chutes et le contrepoint entre scène et enregistrements cocasses ; spectaculaire parce que repoussant sans cesse les limites du risque jusqu’à le laisser croire excessif ; émouvant surtout lorsque l’accompagnement au violon – musique sur un fil, malingre et fragile – accompagne quelques ascensions et descentes de corde ; mais aussi superbe parce que s’achevant dans un final aussi bouleversant qu’intelligent, Le Vide… permet ainsi de voir la corde comme on ne l’avait jamais pensée : un fil qui relie la Terre au Ciel, l’instrument-métaphore d’un Homme qui ne cesse de vouloir s’élever trop haut, en cela aussi admirable que pathétique, portant dans cet élan existentiel toute sa vitalité.
Eric Demey
Du 3 au 11 mars à 20h30, relâche le dimanche et le mercredi. Tél : 01 30 96 99 00. Durée : 1h15.
« Un vrai cirque aux proportions réduites » : [...]