La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Tour complet du cœur

Le Tour complet du cœur - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Jean-François Gaultier Légende photo : Le Conte d’hiver, dans la version à mourir de rire de Gilles Cailleau.

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Gilles Cailleau s’empare des trente-sept pièces de Shakespeare avec un abattage et un talent époustouflants. Un spectacle total qui convoque tous les arts et toutes les émotions de la scène.

Une petite tente berbère de cinquante places collée à une roulotte qui lui sert de scène et de coulisse : on s’installe dans le théâtre de la Compagnie Attention fragile comme dans un cocon douillet. Gilles Cailleau accueille le public en hôte amical et se présente comme le successeur du grand Antoine Garamond, extravaguant personnage qui, avec femme et enfants, a sillonné les routes pour jouer tout Shakespeare en incarnant tour à tour les personnages lumineux et obscurs de cette galaxie théâtrale. Madame Garamond partie un soir, après la mort de Juliette, les deux fils ayant quitté eux aussi l’arche foraine, Garamond devenu trop vieux pour assumer cette entreprise titanesque, c’est à Gilles Cailleau qu’a échu le flambeau de ce voyage improbable. L’air de rien, et après avoir posé les conditions romanesques de ce projet un rien foutraque, le comédien se glisse dans la peau des trois étonnants Garamond et à travers eux, dans les costumes des héros shakespeariens dont il narre les heurs en usant de tous les ressorts et de tous les arts de la scène : acrobatie, magie, masques, jeu, musique, improvisation et déclamation, récit et analyse, glose et envolées délirantes composent un spectacle total finement agencé, remarquablement rythmé et brillamment interprété.
 
Shakespeare en métaphores et en gambades
 
Jouant avec autant que pour le public, Gilles Cailleau prend le risque de la participation comme celui d’une solitude qui s’évanouit dans l’intimité entre la scène et la salle, tant ce marathon kaléidoscopique fait naître de personnages différents et d’émotions contrastées. On tremble et on frémit au plus noir de la tragédie, on rit des synthèses audacieuses et des ellipses gaillardes (la drôlerie atteignant son acmé dans le récit du Conte d’hiver, morceau de bravoure et de fantaisie comiques absolument génial), on reste ébahi devant l’équilibre entre le savant et le prosaïque, la fidélité à l’esprit et l’inventivité débridée de la lettre. Jusqu’à l’ultime Tempête qui associe les spectateurs dans une polyphonie poétique émouvante et charmante, tout est maîtrisé du verbe, du geste et de leurs effets, tout est accessible en même temps qu’exigeant, et la créativité tient le public en haleine, de surprise en trouvaille, de pirouette en clin d’œil, de gambade en glissade, d’interprétation magnétique en distanciation malicieuse. A la fois artiste et artisan comme les acteurs du Songe d’une nuit d’été, poète protéiforme et receleur d’un trésor shakespearien où il farfouille en liberté pour en extraire des moments de théâtre qui sont autant de joyaux, Gilles Cailleau interprète un spectacle qui rend hommage à son inspirateur autant dans la forme que dans le fond. « Totus mundus agit histrionem », lisait-on au fronton du Théâtre du Globe, le monde entier fait l’acteur : ici, c’est l’acteur qui joue le monde !
 
Catherine Robert


Le Tour complet du cœur, d’après Shakespeare ; spectacle imaginé, écrit et interprété par Gilles Cailleau ; mise en scène de Luc Chambon. Du 14 janvier au 13 février 2011. Du mercredi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie, 75012 Paris. Tél : 01 48 08 39 74. Durée : 3h30. Spectacle vu à l’Espace culturel de Saint-Genis-Laval.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre