La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Roi Lear

Le Roi Lear - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Madeleine
Le Roi Lear, dans la mise en scène de Jean-Luc Revol. © Christophe Vootz

Critique /Théâtre de la Madeleine / de William Shakespeare / mes Jean-Luc Revol

Publié le 24 septembre 2015 - N° 236

Avec Michel Aumont dans le rôle-titre, Jean-Luc Revol réussit une adaptation captivante du Roi Lear, portée par une distribution bien équilibrée et de haute tenue. 

Sublime tragédie du désordre et de la rupture, Le Roi Lear questionne comme toute l’œuvre de Shakespeare l’exercice du pouvoir. Dans un monde à bout de souffle et en pleine mutation, Lear souhaite alléger ses vieilles épaules du fardeau du pouvoir, et partage son empire entre ses trois filles. Il mesure leur amour à l’aune de leurs paroles : les deux aînées se conforment au rituel, et la cadette pourtant préférée refuse de se plier au jeu. Cordélia se tait et Lear la bannit. Roi, homme et père déchu, que sa fille Goneril qualifie bientôt de « vieillard débile », il subit la perte de tout ce qui le constituait et entame une descente aux enfers, tandis que règnent la mesquinerie et la concupiscence. C’est dans une société malade à la veille de la crise de 1929 que Jean-Luc Revol installe la tragédie de Lear, alors que les roaring twenties vont laisser place à la Grande Dépression, et Lear y est nabab à la tête d’un empire cinématographique. « Nous ferons plutôt référence à Fritz Lang (période allemande), à Marcel L’Herbier (L’argent n’est pas loin), et bien sûr à Fellini, son mélange de faux/vrai (Intervista), sa poésie, et ses visions labyrinthiques (8 et demi) », annonce le metteur en scène. Un tel parti pris peut faire craindre une actualisation artificielle et pesante et un aplanissement de la tragédie. Or, il n’en est rien.

Rythme haletant

Au contraire, cette adaptation très réussie fait entendre la tragédie dans toute son acuité et frappe d’abord par l’équilibre remarquablement cohérent des relations, qui met en valeur chaque rôle, et par un rythme et un suspense haletants, véritablement au service de ce texte sublime et bouleversant. Ainsi Cordélia n’est pas ici une petite chose effacée, car son silence est aussi une sorte d’orgueil. Toute l’ambiguïté et les contradictions de Lear apparaissent, générant divisions et chaos. Son autorité, qui ne s’exprime plus que par coups de folie et vaines imprécations, se disloque comme son empire. Laissant voir aussi toute la fragilité de Lear, Michel Aumont a l’étoffe de ce rôle immense. Apparaissent aussi dans les confrontations entre divers personnages, entre la lande mortifère et les palais clos, toute l’étendue de la cupidité qui ronge la société. Quelques traits comiques sont heureusement peu appuyés. Comme toujours chez Shakespeare, les enjeux psychologiques, familiaux et politiques s’imbriquent et résonnent aussi dans l’ordre naturel du monde. De très beaux costumes, le grandiose artifice du cinéma qui structure des décors de plateaux de tournage changés à vue contribuent à la réussite de cette pièce captivante. L’essentiel ici demeure le jeu bien dirigé d’une formidable équipe, – Agathe Bonitzer (Cordélia),  Bruno Abraham-Kremer (Kent), Jean-Paul Farré (Gloucester), Marianne Basler et Anne Bouvier (Régane et Goneril), Arnaud Denis (Edmond), José-Antonio Pereira (Edgar), Denis D’Arcangelo (le Fou)…  Une pièce aboutie, exigeante et populaire : à voir par tous !

Agnès Santi

A propos de l'événement

Le Roi Lear
du vendredi 11 septembre 2015 au lundi 30 novembre 2015
Théâtre de la Madeleine
19 Rue de Surène, 75008 Paris, France

Depuis le 11 septembre, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 17h. Tél : 01 42 65 07 09.

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