La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Quai des brumes

Le Quai des brumes - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Essaïon
Philippe Nicaud et ses complices revisitent Le Quai des brumes. Crédit : Félix Lahache

Théâtre Essaïon / d’après le scénario de Jacques Prévert / adaptation, musique et mes Philippe Nicaud

Publié le 23 novembre 2017 - N° 260

Philippe Nicaud réussit le pari risqué de rendre Le Quai des brumes au théâtre, en adaptant le scénario original de Jacques Prévert pour la scène, pour un spectacle plein d’émotion et de poésie.

« T’as de beaux yeux tu sais. » La réplique est culte, le film est célébrissime… On se souvient évidemment des yeux transparents et des boucles sages de Michèle Morgan, du chapeau de Jean Gabin repoussé sur la nuque et des prolos bien habillés dans un film fleurant bon le chromo populo et dont la violence demeure décente et retenue. Philippe Nicaud revisite le texte de Jacques Prévert et lui rend sa fièvre première. Le Quai des brumes est une histoire d’amour, mais c’est surtout une histoire de déveine et de débine : celle d’un petit gars auquel rien n’a jamais souri avant qu’il ne croise le regard de Nelly. Fabrice Merlo, en teigneux rogue et taiseux, tête rentrée dans les épaules et poing agile à la castagne, l’interprète avec une très forte émotion. Le Jean qu’il incarne n’a pas la gueule d’ange du beau Gabin, ni son charisme tranquille. C’est un gars comme il en poussait sur les barrières, dur à la peine et n’osant rien réclamer, faute de savoir remercier. Déserteur de l’armée coloniale, il arrive au Havre en espérant prendre le large et refaire sa vie au loin, pourquoi pas au Venezuela, vers lequel part le bateau de l’exil.

Sophistication scénique pour poésie simple

Mais il rencontre Nelly. Sara Viot donne à ce personnage une sensualité énigmatique qui fait merveille. Elle glisse entre les hommes de la troupe avec une sobre élégance, à la fois enfantine et brisée, jolie comme un cœur et pure comme le cristal. Philippe Nicaud, Idriss Hamida, Sylvestre Bourdeau se partagent les rôles masculins de la pièce. Tous sont blessés, torturés et tordus, mais chacun choisit son baume ou sa béquille. La peinture ou la musique (la « grande », que préfère le méchant Zabel, ou la petite, qu’interprète à l’accordéon le talentueux Pamphile Chambon), l’alcool, le cynisme ou la rêverie désabusée : tous sont seuls, tous sont malheureux. Jean, lui, a la chance de plaire à Nelly, mais l’amour est comme le malheur : il faut en avoir l’habitude pour pouvoir en supporter les effets. Comme dans une tragédie où le destin scelle ses implacables arrêts, Jean mourra, fauché par la main imbécile d’un encore plus misérable que lui. Blottie dans la petite salle de l’Essaïon, la troupe réunie par Philippe Nicaud donne vie à un spectacle remarquablement agencé, où le regard se pose sur les différentes scènes comme l’œil de la caméra sur les différents plans, suivant d’étape en étape la lente et douloureuse histoire de ces deux enfants qui s’aiment, avant que ne se referment les portes de la nuit sur leur triste et magnifique aventure.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Quai des brumes
du vendredi 6 octobre 2017 au dimanche 14 janvier 2018
Théâtre Essaïon
6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris, France

Vendredi et samedi à 19h30 et dimanche à 18h. Tél : 01 42 78 46 42. Durée : 1h20.

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