On donne de la voix de Gwenaël Morin
Dans le cadre du Festival d'Automne, Gwenaël [...]
Simon Pitaqaj adapte et interprète L’Adolescent de Dostoïevski qu’il conjugue avec une histoire d’aujourd’hui. Une quête sensible et aiguë autour des blessures de l’enfance qui marquent la mémoire.
Que d’adversité affrontent les personnages de Dostoïevski ! Que d’intensité tragique dans leur façon d’empoigner la vie… Avec ses précédentes mises en scène Le Rêve d’un homme ridicule (2020) et L’Homme du sous-sol (2011), Simon Pitaqaj leur a déjà donné corps sur scène. Librement inspiré de L’Adolescent de l’auteur russe, suite de l’exploration qu’il a initiée, Le Prince est une plongée dans la conscience de l’enfance, une traversée en forme de quête qui se confronte aux douleurs et aux manques. Avec cette adaptation, Simon Pitaqaj ausculte les relations filiales, ou plutôt ce qui au cœur de ces relations blesse et fait défaut, quand on est un sans-famille, un bâtard, un perturbateur. Un moins que rien avec un nom de Prince, celui de Dolgorouki. Le comédien et metteur en scène le précise dans un propos introductif : ce n’est pas seulement l’histoire du personnage de Dostoïevski, Arkadi Dolgorouki, qu’il va conter, mais aussi celle de Moussa, « Prince des perturbateurs » né dans une banlieue parisienne, dont l’histoire ressemble à celle d’Arkadi. En l’occurrence, Dolgorouki est le nom de son père adoptif, qui a épousé sa mère avant sa naissance. Tous deux furent domestiques au service de Versilov, son père biologique, aristocrate et Don Juan, qui ne l’a pas reconnu. Dès sa petite enfance, Arkadi a été placé dans un pensionnat d’élite où il a été moqué, et traité comme un valet. Le père de Moussa, polygame, a lui fait le choix de placer son fils perturbateur dans une école coranique à Bamako, où lui aussi est raillé et maltraité. Tous deux rêvent de puissance, ce qui se traduit par le désir de devenir riche comme Rothschild ou comme PNL…
La force du ressenti
Ici, le Prince est donc double. On pourrait craindre un certain didactisme dans cette superposition d’histoires. Il n’en est rien. Seul en scène, Simon Pitaqaj évite habilement cet écueil en alternant narration et jeu de manière sensible, précise et élégante. Ce qui est mis en valeur, sans aucun misérabilisme, c’est le rapport douloureux au réel, l’empreinte immense des souvenirs et des souffrances qui sculpte le regard sur le monde, qui ouvre des abîmes. Scindé par des murs mobiles, l’espace de jeu conçu par Julie Bossard est empli de portraits caricaturés, transformés, défigurés. Comme la mémoire qui brouille et exacerbe le réel, la mise en scène exprime au-delà des mots toute la force du ressenti, des hontes et des blessures. Comment grandir dans une solitude sans amour ? Comment se construire sur le manque ? Simon Pitaqaj confie s’être aussi inspiré de son travail avec les « papas courage », un groupe d’écriture formé de pères à Corbeil-Essonnes, dont certains, démunis, ont envoyé leurs fils dans des écoles coraniques à l’étranger. Attentif aux fils mais aussi aux mères et aux pères, ce beau théâtre du présent qui appelle à la réparation s’adresse à tous, et constitue un passionnant matériau à étudier en classe.
Agnès Santi
à 20h30. Tél : 01 43 60 72 81. Spectacle vu au Théâtre Dunois en avril 2021. Durée : 1h.
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