La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Stuart Seide / Un théâtre de l’être

Stuart Seide / Un théâtre de l’être - Critique sortie Théâtre Lille Théâtre du Nord
Crédit photo : Frédéric Iovino

Théâtre du Nord / Fractures / de Linda McLean/ mes Stuart Seide

Publié le 18 décembre 2012 - N° 205

Le directeur du Théâtre du Nord continue son alternance familière entre « proche et lointain », choisissant de créer, cette fois-ci, un texte inédit de Linda McLean, sur le secret d’une âme en reconstruction.

Accroche : « Un travail de dentelle fait avec des lames de rasoir. »

Pourquoi avoir choisi Fractures, de Linda McLean, pour votre prochaine création ?

Stuart Seide : Je sortais de Schiller ; je savais que j’allais travailler Brecht avec les élèves de l’EpsAd… J’aime beaucoup le travail avec une grande équipe, le phénomène de troupe, mais je sentais aussi, comme toujours, le besoin d’aller-retour entre le proche et le lointain, l’épique et l’intime. Cette alternance est emblématique de mon travail : comment se saisir d’un texte qui vient de loin et le rendre dans sa proximité ; comme traiter de la grande proximité et révéler ce qu’il y a en elle d’universel et de pérenne. J’ai découvert le texte de Linda McLean à l’occasion du partenariat mené avec Théâtre Ouvert. Parmi les pièces soumises au comité de lecture composé par les quinze élèves de la promotion en formation, il y avait Fractures. Quand j’ai lu cette pièce, j’ai su immédiatement que je voulais en faire ma prochaine création.

Que raconte la pièce ?

S. S. : Pouvons-nous nous libérer de notre passé, tourner une page ou commencer à écrire sur une page vierge ? Voilà ce que cherche May, la protagoniste. La pièce commence de façon relativement innocente ; mais l’eau du lac que nous voyons est plus perturbée, plus opaque, plus trouble qu’on n’imagine. Nous vivons tous avec des fantômes et des spectres de certains de nos actes. La nature du passé de May n’est jamais révélé : ce n’est pas le détail de ce passé qui intéresse l’auteur, mais la manière dont elle se dépatouille de ce passé. May essaie d’échapper à un destin dont l’écriture serait achevée par la société. Peut-elle démarrer un autre roman de vie ? La réponse n’est pas donnée, mais on la voit s’acharner à le faire. Il s’agit d’un combat intuitif en ligne brisée : on suit cette ligne à travers cinq stations, cinq rencontres avec cinq hommes à travers lesquels May cherche à se reconstruire.

Comment définiriez-vous, à travers cette pièce, le théâtre de Linda McLean ?

S. S. : C’est un théâtre de l’être, de la vie secrète, dense, profond et sensible, écrit dans une langue ciselée, précise, détaillée. Cette pièce exige l’équilibre entre abandon et retenue : un travail de dentelle fait avec des lames de rasoir ! J’ai été frappé par ces personnages qui parlent comme on pense, par bribes, qui ont du mal à articuler leur vie intérieure. Paradoxalement, cette maladresse est remarquable de netteté. Elle empêche toute sentimentalité dans l’expression des sentiments que les personnages ignorent ou ne montrent pas, et reproduit exactement la psychologie intérieure. Et puis, surtout, c’est un théâtre écrit pour des acteurs. Ce qui me passionne le plus, c’est la rencontre avec cette matière qui permet d’exploiter l’art de l’acteur entre dit et non dit : que faut-il montrer, que faut-il ne pas montrer pour faire sentir ? Ce n’est pas un théâtre du dit, mais un théâtre de l’être, de l’intime : cette problématique m’intéresse beaucoup. C’est aussi pour cela qu’il m’a fallu du temps pour équilibrer la distribution. Dans un projet comme celui-là, l’alchimie des équilibres est capitale.

Vous avez rencontré l’auteur. Qu’en avez-vous appris ?

S. S. : C’est fascinant de travailler la pièce d’un auteur pour lequel on n’a pas de référence scénique. Jamais montée en France, cette pièce est pour moi comme un passionnant territoire à explorer. Je suis fasciné et plein d’estime pour les écrivains : l’acte d’écrire est une capacité que je n’ai pas. Je suis un passeur des textes d’autrui. En parlant avec l’auteur – je l’ai fait avec Linda McLean comme j’avais pu le faire avec Bond – je découvre le processus à l’œuvre dans l’écriture, comme un aperçu de son cerveau ! On plonge dans la matière d’une vie, on comprend un regard sur un univers. J’aurais aimé avoir ces conversations avec Shakespeare ! Voir comment fonctionne un écrivain, d’où viennent ses idées, comprendre ce qui l’inspire et ce qui fait qu’à la fin, l’œuvre naît : c’est formidable et passionnant !

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Stuart Seide / Un théâtre de l’être
du vendredi 25 janvier 2013 au jeudi 14 février 2013
Théâtre du Nord
4, place du Général de Gaulle, 59000 Lille

Du 25 janvier au 14 février 2013. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h. Texte français de Blandine Pélissier et Sarah Vermande. Tél. : 03 20 14 24 24.
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