La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Pélican

Le Pélican - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Gian Manuel Rau orchestre la violence égoïste de l’héritage des rancunes.

Publié le 10 février 2008

Drame familial de la vengeance et du ressentiment, Le Pélican est une fable noire dont Gian Manuel Rau dissèque les mécanismes avec une virulence renforçant le désespoir féroce de Strindberg.

La mère, le fils, la fille, le gendre et la servante : tous errent dans la maison glacée en remâchant leurs angoisses et leurs turpitudes, chacun imposant aux autres des épreuves en forme d’ordalie pour mesurer l’étendue du mal supportable. Humiliations, vexations, révélations scandaleuses, privations et insultes, l’heure est venue, après la mort du père, de régler les comptes, de faire l’inventaire du malheur et d’arracher les masques derrière lesquels se cachent des visages tous plus vils et malheureux les uns que les autres. La mère, qui se vante d’avoir été un pélican pour ses enfants, les nourrissant à l’instar de l’oiseau abreuvant ses petits de son propre sang, se révèle bien plutôt mante religieuse infâme, calculatrice diabolique, démon obscène, tuant son mari de chagrin, mariant sa fille à son amant et condamnant son fils au désespoir alcoolique en ne payant pas ses études. Après les avoir sous-alimentés de maigre bouillie pendant qu’elle sortait au théâtre ou s’étourdissait en voyages à Paris quand ils étaient petits, elle continue de les détruire sans même déguiser sa perversion et sa jouissance à nuire.
 
Une mise en scène en surenchère du texte
 
Gian Manuel Rau installe ses comédiens dans le décor épouvantablement laid d’un intérieur sans goût, sans chaleur et sans cloisons, comme si l’enfermement mental des personnages suffisait à les rendre imperméables à l’autre. Rien ici de l’étouffement du confort bourgeois et rien pour amortir les chocs entre les êtres : tout est visible et tout agresse l’œil. Violent également l’univers sonore qui entoure ce jeu de massacre et qui ponctue, intensifie, accompagne ou anticipe les affects avec précision. Dans cette ambiance heurtée rétive à toute sérénité possible, les comédiens jouent également sur des registres brutaux, offensifs, agressifs et provocateurs. Mimiques appuyées de Dominique Reymond qui campe une mère tout en tics et en éclats brisés ; noirceur virulente et emportée de Bruno Subrini, dans le rôle du fils ; mécanique heurtée des gestes de Sasha Rau en fille fracassée ; force inquiétante de Roland Vouilloz en gendre berné ; glissements vipérins sur cet échiquier meurtrier de Caroline Torlois en servante machiavélique : dans chaque geste, éclate l’évidence de la haine et de la rancœur. Gian Manuel Rau explicite d’emblée la névrose et ses effets physiques, confiant aux corps la grammaire des égarements, en une lecture du malaise prise entre les doutes de Charcot et les hypothèses de Freud, le théâtre, lieu où le verbe se fait chair, devenant ainsi le lieu des révélations inconscientes.
 
Catherine Robert


Le Pélican, d’August Strindberg ; mise en scène de Gian Manuel Rau. Du 2 au 24 février 2008. Du jeudi au samedi à 20h45 ; dimanche à 17h. Les Gémeaux / Scène Nationale, 49, avenue Georges-Clémenceau, 92330 Sceaux. Réservations au 01 46 61 36 67.

A propos de l'événement


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