La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Journal d’un fou

Le Journal d’un fou - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Une représentation du pouvoir qui mène à la folie crédit Jean-Baptiste Pasquier

Publié le 10 décembre 2009

Tout là-haut, au Lucernaire, dans la petite salle du « Paradis », Eric Peuvrel doit relever deux défis : faire passer la rampe à une nouvelle souvent montée et représenter la folie. Le Journal d’un fou de Nicolas Gogol, où Popritchine narre comment il passe de la frustration d’un « fonctionnaire de neuvième rang » à la démence de la mégalomanie, est un texte difficile et prisé des acteurs.

Les Nouvelles de Saint-Petersbourg, recueil dont est extrait ce récit, mélangent réalisme et fantastique, content des destins ordinaires qui déraillent dans le cadre grisâtre de la ville de Saint-Petersbourg et de sa fameuse perspective Nevsky. Une bureaucratie, celle de Pierre le Grand, y préfigure les grandes dérives du 20ème siècle communiste, et le traitement qu’en fait Gogol annonce les écrits de Kafka. Sur scène, jouant de ces télescopages temporels, amorçant chaque nouvelle journée du journal, un écran diffuse, derrière le lit où est étendu Propritchine, des images en noir et blanc mêlant informations d’archives et cinéma muet, plans eisensteiniens de foules dévalant des rues, scènes carnavalesques – quasi surréalistes – et images des camps de la mort. Un mélange qui intrigue et égare.
 
Petit fonctionnaire qui taille des plumes
 
Un violoncelliste accompagne sur scène ces transitions. Il interprète des compositions grinçantes et d’inspiration atonale de Penderecki, Ligeti, Kurtag… Charge à lui de moduler le rythme d’un récit qui voit Popritchine, petit fonctionnaire qui taille des plumes pour son directeur, tomber amoureux de la fille de celui-ci. Seulement, Popritchine apprend via des lettres écrites par la chienne de la jeune fille que cette dernière est en fait amoureuse d’un haut fonctionnaire. L’idée s’impose alors naturellement à lui, pour s’élever, de se croire réellement roi d’Espagne !… L’histoire, fût-elle grotesque, est rarement drôle. La folie du personnage de Gogol est poétique, pathétique, et c’est le mérite d’Eric Peuvrel, couché sur un lit suspendu dans l’air, que d’éviter l’écueil d’une version délirante. Cependant, superposée au rythme régulier de la progression du récit, son interprétation, un peu sage, un peu lisse, qui vise peut-être à donner un tour universel au personnage et à son destin, à normaliser sa folie, offre en retour un Popritchine dont on cerne assez peu la mécanique interne, autrement que par les mots que lui prête Gogol. Plus diariste que fou, le « héros » reste trop peu habité pour que s’y dessine(nt) le(s) parti-pris structurant cette nouvelle version du texte et que s’y éprouve le plaisir de sa théâtralité. C’est pourquoi, lorsque le violoncelliste chapeauté d’un bonnet d’infirmier ceint le fonctionnaire d’une camisole de force, la chambre se transformant en cellule d’asile, le personnage se met soudain à exister, et avec lui l’espace autour. Et les spectateurs de regretter qu’une certaine folie, celle du petit enfant que redevient Popritchine à la fin, celle des naïfs qui croient infiniment à leurs rêves, n’ait pas plus tôt investi le plateau.

Eric Demey


Journal d’un fou, de Nicolas Gogol, mise en scène d’Hervé Van der Meulen. Du 4 novembre au 16 janvier 2010 au théâtre Lucernaire, du mardi au samedi à 19h, relâche dimanche et lundi. 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris 6ème. Réservations : 01 45 44 57 34

A propos de l'événement


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