La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Dindon

Le Dindon - Critique sortie Théâtre
© Antonia Bozzi Alix Poisson et Guillaume Marquet (Lucienne Vatelin et Rédillon) : une belle maîtrise des coeurs et des corps

Publié le 10 septembre 2011 - N° 189

Le Dindon au mieux de sa forme. Avec une formidable équipe de comédiens, Philippe Adrien réussit brillamment la représentation de la ronde délirante des désirs contrariés. Un régal !

Mariages, adultères, désirs, pièges… Ce Dindon que l’on réduit parfois à un vaudeville effréné va beaucoup plus loin que l’on croit : il s’aventure dans les méandres de la folie, restituée avec une précision implacable et affolante, il déjoue sans cesse le réel, truffé d’erreurs, de quiproquos, de malentendus et de simulations, le tout orchestré par une langue vive, brusque, drôle, tranchante. Même si tout cela ne peut se concrétiser et se constater que sur scène, et bien sûr en aucun cas à la lecture. Bref, ce Dindon, c’est une sacrée prise de risque pour un metteur en scène ! Il faut assurer pour ne pas se faire piéger. Philippe Adrien a osé, et il réussit brillamment ! Le spectacle reste dans la rétine, car il constitue une représentation remarquablement maîtrisée de la métamorphose d’une vie apparemment routinière en un délire cauchemardesque, et déploie un théâtre total mobilisant à fond les corps, le jeu, l’espace, le son. La langue bondit d’un personnage à un autre comme un animal bondit sur sa proie. La scénographie très astucieuse et surréaliste envoie valser (au sens propre !) dès le début les codes du vaudeville et installe une ambiance dédalesque de chaos, où les portes bougent et comme chez Lewis Carroll font craindre de grands bouleversements… ou déclenchent le rire. Les comédiens assurent au millimètre et semblent prendre possession avec délice de leurs personnages, qui ne ressemblent en rien à des figures archétypales – ils sont bien trop vivants et trop délirants pour cela. Ici la danse rituelle du Haka devient parade amoureuse, et un rendez-vous galant clandestin se pare d’une tonalité fantastique et onirique.

Désirs battus en brèche
Tous forment un bel accord pas tempéré du tout et savamment désaccordé, les désirs des uns étant sans cesse contrariés et battus en brèche par les désirs des autres, et cette déréglementation foudroyante introduit une irrationalité générale dans les demeures bourgeoises. Un vrai régal ! Tout commence par l’irruption du coureur de jupons Pontagnac (Eddie Chignara) chez Lucienne (Alix Poisson), qu’il a suivie sans savoir que son mari, Vatelin (Pierre-Alain Chapuis) est un de ses amis. Pontagnac est l’époux de Clotilde (Luce Mouchel), Vatelin a une ex qui le poursuit, Maggy (Caroline Arrouas), elle-même épouse de Soldignac, l’Anglais de Marseille (Joe Shéridan). Et le grandiose Rédillon (Guillaume Marquet), célibataire généralement plein de vigueur (sauf en cas de panne), prend le statut d’objet sexuel et d’instrument de vengeance pour les dames. Car une fois n’est pas coutume, les femmes dominent ici les hommes et remettent en place les préjugés. Tout ça est un bon début, qui va bien sûr se corser considérablement lorsque l’action se déplace dans un hôtel (inénarrable couple Pichard)…L’homme est ainsi fait, son cerveau n’a pas de limites lorsqu’il devient la proie de ses délires, la vie est toujours compliquée, dans cette pièce la complexité atteint des sommets et on en rit ! Le théâtre ici précisément parvient à représenter ce délire si humain, à la fois très concret et ouvrant d’insondables failles psychiques.
Agnès Santi


Le Dindon de Georges Feydeau, mise en scène Philippe Adrien, du 14 septembre au 23 octobre, du mardi au samedi à 20h30 sauf jeudi à 19h30, dimanche à 16h, au Théâtre de La Tempête, Cartoucherie, 75012 Paris. Tél : 01 43 28 36 36.

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