François Chattot et Martine Schambacher
©Crédit photo : Élisabeth Carecchio
Crédit photo : Élisabeth Carecchio
Publié le 10 juin 2011 - N° 189
Cuisine politique
Jean-Charles Massera et Benoît Lambert confient à l’impayable couple que forment François Chattot et Martine Schambacher le soin d’une drolatique leçon d’économie politique et ménagère.
Quel est l’enjeu de ce troisième volet de la trilogie inventée par Massera et Lambert ?
François Chattot : Benoît a voulu nous réunir pour conclure cette trilogie en une petite fable dans le couple : une sorte de We are les vieux après We are la France et We are l’Europe ! Ce troisième spectacle change de génération et s’appuie sur un couple qui a bourlingué.
Martine Schambacher : Dans We are l’Europe, il n’y avait que des jeunes ; je trouvais dommage qu’il n’y ait pas de contrepoint avec une autre génération. Cette fois-ci, la fable est différente : il ne s’agit pas de bricoler avec mais de bricoler contre. C’est l’histoire d’une émancipation, celle d’un couple qui, à travers les acquis historiques et politiques, retrouve sa capacité d’agir et se redécouvre physiquement, comme une histoire d’amour qui renaît ou se poursuit différemment. On commence sur une pensée de Descartes : « Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’ai reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés ne saurait être que fort douteux et incertain; et dès lors j’ai bien jugé qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois dans ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues auparavant en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements… »
F. C. : Oui, en gros, Descartes dit qu’il faut se remettre au boulot ! C’est ça l’idée de départ !
M. S. : Et à partir de là, ils reprennent les bouquins et disputent sur des grands thèmes. Nos costumes ressemblent à ceux des Playmobils : ces deux personnages sont des figures génériques, un Monsieur et une Madame Quidam ! Tout sauf des intellectuels !
F. C. : La thèse fondamentale, c’est qu’il n’y a pas de préalable à l’action. Le XXIème siècle est le siècle des experts : quand on n’est pas expert, on doit la fermer ! Or, il est possible à n’importe quel quidam de s’emparer du commun. La res publica, c’est la chose commune !
« C’est un conte contemporain à la Voltaire. » (F. C.)
S’agit-il d’une leçon politique ?
F. C. : Non ! Surtout pas ! Le spectacle n’a pas vocation à être didactique, ni à donner de leçons, apporter des réponses ou donner une morale. Ça reste une fable. C’est toujours comme ça le théâtre, non ? Quand Phèdre tombe amoureuse, ou quand Médée tue ses enfants, personne ne prend ça pour une injonction !
M. S. : C’est un des grands soucis de Benoît. La vocation du théâtre, c’est de donner de l’outillage informationnel, mais pas de donner des solutions toutes faites, clef en main. Toujours est-il qu’il faut bien remarquer que les gens ressortent du spectacle avec la patate ! En même temps, il y a énormément de tendresse chez Benoît : il n’est pas là pour régler des comptes, ni avec la génération que nous représentons, ni avec la politique.
F. C. : Les deux personnages naviguent entre politique et poétique. Il y a en eux quelque chose des personnages de Tati, de Pierre Etaix…
M. S. : Ou des justiciers anonymes, comme Fantômette ou Zorro.
F. C. : C’est un conte contemporain à la Voltaire, une sorte de conte philosophique, politique, avec deux héros qui pourraient être deux images d’Epinal, un auguste et un clown blanc, un qui-sait-tout et un gros-bêta…
S’agit-il aussi d’une histoire d’amour ?
M. S. : Les problèmes dont ils disputent sont extérieurs au couple. On pourrait dire qu’il s’agit un peu d’un boulevard de gauche où on ne s’engueule pas entre mari et femme autour de l’amant, mais sur 68 ou la Révolution française ! A force de parler politique, on se fout dessus, mais la castagne se fait sur des chansons d’amour ! Et même si c’est violent, ils se tripotent et ça les remet en face-à-face et en face des choses. Cette manipulation d’idées et de livres, c’est pour vivre ensemble. La politique est faite pour vivre ensemble, et la cellule du couple est la première cellule politique.
F. C : C’est un peu comme chez Godard, finalement : la relation est toujours amoureusement politique et politiquement amoureuse !
Propos recueillis par Catherine Robert
Que faire ? (Le retour), de Jean-Charles Massera, mise en scène de Benoît Lambert. Du 8 au 30 juin 2011. Du mercredi au samedi à 21h ; le mardi à 19h et le dimanche à 16h. La Colline – théâtre national, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au 01 44 62 52 52. Lire aussi notre critique