La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 - Entretien Romeo Castellucci

Face-à-face prismatique

Face-à-face prismatique - Critique sortie Avignon / 2011

Publié le 10 juillet 2011

Romeo Castellucci et la Socìetas Raffaello Sanzio présentent à Avignon la première française de leur nouveau spectacle, inaugurant un diptyque sur le thème du visage que complètera Le Voile noir du pasteur.

Vous renoncez à montrer Le Voile noir du pasteur à Avignon…
Romeo Castellucci : On a besoin de plus de temps pour achever ce spectacle. Nous ne sommes pas prêts et nous avons reporté toutes ses représentations. Mais les deux spectacles sont liés et font partie d’un même projet cohérent, dont le sujet est le visage. Sur le concept du visage du fils de Dieu est le premier volet de ce projet.
 
Quelle est la place du visage du Christ dans ce spectacle ?
R. C. : Le fils de Dieu est, quant au visage, une référence qui traverse l’histoire de l’art : c’est par cette représentation que se fixe la mémoire du visage en Occident. En fond de scène, on a placé un grand portrait de Jésus tiré d’un tableau d’Antonello de Messine. Ce portrait gigantesque est une sorte de lumière qui éclaire le reste de la scène, composée d’un volume reproduisant le salon d’une simple maison. Dans cette ambiance domestique, se tiennent un vieux père et son fils. Il s’agit plutôt d’une action que d’une narration, une action de pitié du fils pour le père. Le père est totalement faible, âgé, malade, il ne contrôle plus son intestin. Tout se déroule entre le père et le fils et seuls les deux comédiens sont visibles même si d’autres présences cachées se devinent derrière le portrait du fond de scène. Il est difficile de vraiment expliquer la chose a priori
 
Pourquoi ?
R. C. : Tout simplement parce que je ne suis pas un professeur qui donne une leçon ! C’est le devoir et la tâche du spectateur de comprendre. Sur le thème qu’explore le spectacle, on peut penser beaucoup de choses, mais, moi, ma réponse, c’est le spectacle ! Ce que je peux dire, seulement, c’est que c’est un spectacle que je sens très fort. Nous l’avons déjà joué en Italie et ailleurs, et, partout, la réaction du public a été très forte, très étonnante. C’est un spectacle qui parle au cœur du spectateur. Le père est incontinent, on voit ses excréments sur scène. Cette histoire vraiment humaine, inscrite dans le destin du corps, est une histoire que connaissent beaucoup de familles. C’est quelque chose de très réel et pas du tout provocateur. Aussi parce que, fondamentalement, c’est une histoire d’amour entre le fils et le père. Jésus éclaire cette histoire et cette situation dans la mesure où il a été lui-même disponible à cette humiliation. Et tout le monde peut être touché par cette histoire très commune.
 
« Le spectacle touche le corps du spectateur. »
 
Vous affirmez souvent, à cet égard, que le spectateur est central dans vos spectacles.
R. C. : Il a la plus grande importance pour moi. Le noyau fondamental du spectacle, c’est le corps et le cœur du spectateur. Le spectacle touche le corps du spectateur. Le théâtre est un langage qui implique le corps, mais il n’est pas évident que ce corps soit d’abord celui de l’acteur : je crois que c’est plutôt le corps du spectateur. Il faut impliquer le pouvoir de création chez le spectateur. On doit imaginer le spectateur comme quelqu’un qui donne de la vie à l’action avec son propre vécu. C’est à travers ce vécu qu’on peut imaginer le théâtre comme quelque chose de vivant. Il faut que le spectateur soit part active de ce rapport. C’est pour cela que, pour moi, c’est important : je ne considère pas le spectateur comme jugement mais comme forme créatrice. Ainsi, à un moment du spectacle, le portrait de Jésus s’obscurcit et un trou noir remplace le visage : ce noir devient un miroir qui renvoie tous les visages des spectateurs.
 
Ce spectacle placé sous le regard de Jésus suppose-t-il un point de vue catholique ?
R. C. : C’est un niveau de lecture mais ce n’est pas le seul. Il n’est pas nécessaire de penser en ces termes. Je préfèrerais d’ailleurs le mot chrétien au mot catholique, et même : la thématique abordée n’est pas tant chrétienne que théologique. Le rapport au père se retrouve dans la culture juive, dans l’Islam. Il y a aussi des pères dans l’Ancien Testament et ce n’est pas forcément une métaphore chrétienne ! Cela dit, se contenter d’une seule clé serait injurieux. On peut aussi proposer une lecture psychanalytique, politique ou métaphysique. Il faut être disponible à tous les niveaux de lecture : on est devant les multiples facettes d’un même prisme.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Festival d’Avignon. Sul concetto di volto nel figlio di Dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu), spectacle de Romeo Castellucci (Socìetas Raffaello Sanzio). Opéra-Théâtre, du 20 au 26 juillet 2011. Tél : 04 90 14 14.Durée 1H.

A propos de l'événement


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