La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Canard sauvage

Le Canard sauvage - Critique sortie Théâtre
Photo : Guy Delahaye Le combattant de la vérité (Rodolphe Congé) prêt à fondre sur l’innocente Hedvig (Géraldine Martineau).

Publié le 10 mars 2009

Avec le Canard sauvage (1884), « Ibsen est entré dans la chambre funèbre de son esprit ». Une plongée tendue dans les affres de l’âme, transfigurée par l’art des clairs obscurs d’Yves Beaunesne.

À l’orée de la représentation du Canard sauvage sur la scène raffinée d’Yves Beaunesne, le plateau est traversé par un rideau couleur sépia près duquel une lampe tamisée laisse apparaître sur l’écran les silhouettes des invités d’un salon bourgeois XIXe, lors d’une réception chez le négociant Werle. Ce théâtre d’ombres improvisé disparaît ensuite pour privilégier la scène brute d’un plateau de théâtre. C’est un peu la chambre claire d’un atelier de photographie. Cet art neuf est à ses débuts et attire Ibsen, attentif aux portraits suspendus dans les salons de l’époque. Au cours de cette soirée, le fils de famille Gregers Werle (jeu décalé et voix profonde de Rodolphe Congé) apprend les agissements mal intentionnés de son père envers la famille Ekdal. Le grand-père Ekdal (Fred Ulysse, vif et inquiétant), ancien adjoint de Werle dans son négoce, a été destitué de ses droits sous l’instigation du notable. Son fils, Hjalmar Ekdal (François Loriquet, veule et sympathique), camarade de Gregers, s’est marié avec Gina (la mystérieuse Judith Henry), ex-servante et ex-maîtresse de Werle père. Leur mariage aurait été une façon de camoufler cette liaison. Gregers, en fils luthérien et kierkegaardien, luttant pour la quête d’un idéal de noblesse et de dignité, s’est trouvé une mission morale salvatrice.

La pure enfant Hedvig dont le canard sauvage est l’allégorie

L’intrus aspire à démasquer le mensonge pour élever à la vérité le couple Ekdal avec leur fillette Hedvig (Géraldine Martineau tonique), menacée de cécité. Peut-être le monde est-il trop laid pour être vu ? L’imprudent Gregers fait perdre la vie à la pure Hedvig dont le canard sauvage est l’allégorie dans le grenier. Près de l’atelier de photographie où vit la famille, ce grenier fait rêver, entre songes et cauchemars, lucarnes, poulies et cordes. Le scénographe Damien Caille-Perret a construit une verrière transparente avec toit vitré. Cet antre sacré pour les êtres perdus est un musée de volatiles et lapins, un refuge poussiéreux pour obscurs objets relégués, un marécage en plein ciel qui laisse revivre les vestiges du passé et les destins manqués, les fantasmes inaboutis et le parfum suranné des jours enfuis. La pièce ouvre à la modernité car les êtres ne sont plus d’un seul tenant. Idéalistes et velléitaires, volontaires et paresseux, ils reflètent le clair obscur de l’âme. Le médecin Relling (Philippe Faure au flegme sûr), débauché éclairé, a su le déceler : la radieuse Hedvig incarne l’espoir, la constance amoureuse. Une belle fascination dans le miroitement de l’ombre et la lumière.

Véronique Hotte


Le Canard sauvage

D’Henrik Ibsen, traduction Marion Bernède et Yves Beaunesne, mise en scène d’Yves Beaunesne, du 18 mars au 5 avril 2009, du jeudi au samedi 20hh45, dimanche 17h, relâche le 19 mars aux Gémeaux 49, avenue Georges Clémenceau 92300 Sceaux Tél : 01 46 61 36 67 Texte publié chez Actes Sud-Papiers Spectacle vu au Théâtre du Nord à Lille.

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