Périphérique
En une douzaine de spectacles, la 10e édition [...]
Après Rosmersholm et Une Maison de poupée en 2009, Stéphane Braunschweig revient à son auteur de prédilection. Il met en scène Le Canard Sauvage, de Henrik Ibsen : une pièce « à double fond » à travers laquelle le directeur du Théâtre national de la Colline souhaite poser la question du déni.
Quelles places prennent, selon vous, les espaces du réel et de l’imaginaire dans Le Canard Sauvage ?
Stéphane Braunschweig : Tout d’abord, il faut dire que ce qui caractérise Le Canard Sauvage, par rapport aux autres œuvres d’Ibsen, c’est qu’elle se joue dans un milieu social déclassé. Les membres de la famille Ekdal – famille qui se situe au centre de la pièce – vivent dans un foyer modeste, à la limite de la pauvreté. Pourtant, ils continuent de se comporter selon des codes bourgeois. La précarité de leur existence sociale renvoie à la précarité de leur situation psychologique. A l’intérieur de ce monde dégradé, il y a un espace pour l’imaginaire – le grenier du canard sauvage -, un espace de jeu, de rêve, d’évasion, qui devient un espace de réparation, ou de compensation. Cet espace présente aussi une dimension fantastique. Si on l’envisage à travers le regard d’Hedvig, la fille de la famille Ekdal, cet espace est dérisoire, artificiel, mais existe aussi comme un monde en soi.
Un monde qui vient fragiliser le réel…
S. B. : Oui. Car Le Canard Sauvage est une pièce à double fond, une pièce qui nous montre comment les existences peuvent se construire sur des sols instables. Ibsen parle à plusieurs reprises de marécage, c’est une métaphore qui revient souvent dans le texte. A partir de là, la question qu’il nous pose est de savoir ce que l’on fait devant cette instabilité, surtout lorsqu’elle nous échappe, lorsque nous n’en avons pas conscience. Car on peut avoir l’impression de marcher sur un sol sûr, solide, et s’apercevoir un jour que ce sol est mou, qu’il menace à tout moment de se dérober sous nos pieds. Que doit-on faire, alors ? Continuer de vivre comme avant ou faire la lumière sur cette instabilité ? Ce que j’aime particulièrement dans cette pièce, c’est qu’elle n’est pas manichéenne. Ibsen montre la complexité de l’existence, la singularité des expériences. Beaucoup des personnages du Canard Sauvage sont dans le déni du réel. Et on s’aperçoit que, dans tous les cas, ce déni est toxique. Il me semble que, malgré toute la noirceur de la pièce, se poser la question des dégâts provoqués par ce déni est un geste positif.
Qu’est-ce qui vous paraît fondamental, en terme de jeu, pour investir l’univers d’Ibsen ?
S. B. : Au premier abord, on pourrait croire que les pièces d’Ibsen sont naturalistes, mais ce n’est pas le cas. Il faut que les comédiens parviennent à jouer de façon très concrète, mais pas naturaliste. Il ne faut pas noyer la pièce dans des jeux de scène qui la banaliseraient. Chez Ibsen, tout fait sens, y compris les plus petits détails. Mais ces détails ne doivent jamais prendre l’apparence de la banalité.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
En une douzaine de spectacles, la 10e édition [...]