La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’Amant

L’Amant - Critique sortie Théâtre
Photo : ArtcomArt/Pascal Victor Marguerite (Astrid Bas) aux prises avec l’aventure amoureuse.

Publié le 10 octobre 2008

Astrid Bas bouscule et rafraîchit la parole de Duras qu’elle désacralise tout en lui restituant sa puissance souveraine. Une belle histoire d’amour empressé sous la musique d’Ami Flammer.

La silhouette d’une jeune fille gracile du siècle dernier reste gravée dans la mémoire des lecteurs familiers de l’œuvre autobiographique de Duras, entre le flux sauvage d’Un Barrage contre le Pacifique et  celui plus languide de L’Amant de la Chine du Nord. Ainsi, la fille de l’institutrice de l’école des filles de Sadec, colonie française du Viêt-Nam, sait qu’elle veut écrire. Elle porte une petite robe de soie bleue et une paire de talons hauts en lamé doré pour la traversée du fleuve du Mékong. La lycéenne se déplace entre le pensionnat de Saigon et Sadec, ville où réside le foyer maternel avec le frère aîné maudit qui fait souffrir le cadet. En tombant inopinément sous la loi d’un homme à aimer, elle se tient « à l’écart de cette famille pour la première fois et pour toujours ». En même temps, l’argent de l’affairiste profite à tous. L’Amant pourrait être le récit romancé d’une initiation amoureuse s’il ne témoignait de la modernité radicale d’une écriture.

Les pieds nus sur un parquet onduleux de lattes de bois

Le discours est libre, révélant l’intimité et la vérité de la narratrice, passant par une manière frontale et absolue de dire ce qui ne se dit pas. Cette parole rêche est éprouvée sensiblement dans cette distance qu’impose le temps : « Tout est là et rien n’est encore joué. Je veux écrire … » Lors du coup de foudre, quelques mots suffisent à évoquer l’époque, recensant tabous et préjugés : «   Il y a cette différence de race, il n’est pas blanc, il doit la surmonter, c’est pourquoi il tremble. » La lycéenne est blanche et pauvre ; l’homme est chinois et riche dans sa grande maison avec des terrasses aux balustrades de céramique bleue. L’amour a lieu, en dépit des obstacles, dans une garçonnière sous les bruits de la ville proche et la présence lancinante des remous de la mer, cette immensité. Astrid Bas interprète l’aventurière volontaire qui paraît ce qu’elle veut paraître et prend sa vie au sérieux. La figure féminine livre une expérience à la fois personnelle et universelle, les pieds nus sur un parquet onduleux de lattes de bois, un rappel de pont de bateau ou de vague marine sous les lumières de Georges Lavaudant. L’actrice précipite son débit d’élocution, allant contre la convention d’une profération lente dès qu’il s’agit de Duras. Et Ami Flammer, compositeur subtil de la musique de Navire Night…, joint son art à cette quête de la satisfaction qu’il y a à aimer à l’intérieur de l’absence d’espérance.

Véronique Hotte


L’Amant

De Marguerite Duras, proposition d’Astrid Bas, du mercredi au samedi 21h, mardi 19h, dimanche 16h, relâche le 5 octobre, du 18 septembre au 9 octobre 2008 au Théâtre National de la Colline 15, rue Malte-Brun 75020 Paris Tél : 01 44 62 52 52 www.colline.fr

A propos de l'événement


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