La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La vie invisible de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, conception et mise en scène Lorraine de Sagazan

La vie invisible de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, conception et mise en scène Lorraine de Sagazan - Critique sortie Théâtre Paris Espace Cardin - Théâtre de la Ville
La vie invisible CR : Christophe Raynaud de Lage

Reprise / Espace Cardin – Théâtre de la Ville

Publié le 17 décembre 2021 - N° 295

La vie invisible entrelace un témoignage sur la vie d’un non-voyant au pouvoir du théâtre à rendre visible ce qui se cache. Une forme délicate et originale conduite par Lorraine de Sagazan.

On prête parfois aux aveugles et au théâtre un pouvoir similaire : celui de rendre visible aux voyants ce qui se cache à leurs yeux. Lorraine de Sagazan a construit La vie invisible à partir de rencontres avec des malvoyants et des non-voyants. Avec l’écrivain dramaturge Guillaume Poix, elle a bâti une forme plutôt brève, d’une heure environ, délicate et sensible, qui va traverser bien des aventures. Le terme d’aventure n’est sans doute pas trop fort puisqu’avec Romain Cottard et Chloé Olivères, tous deux comédiens professionnels, un comédien amateur non-voyant, Thierry Sabatier, tient le premier rôle de cette Vie invisible. Il y raconte une histoire, son histoire – réelle ou fictive, finit-on par se demander. L’histoire d’un jeune homme qui devient aveugle suite à un accident qui révèle sa maladie, une rétinite pigmentaire. Mais aussi l’histoire d’un spectacle qu’il est allé voir en compagnie de sa mère, morte depuis. En fouillant ses souvenirs, il s’aperçoit ainsi combien s’y rejouaient les traumatismes de sa saga familiale. La vie invisible propose donc une sorte de psychanalyse par le théâtre qui rappelle également combien sont poreuses les frontières entre la fiction et la réalité.

Du témoignage au théâtre dans le théâtre

Le rôle de Romain Cottard et Chloé Olivères consiste à représenter des bribes de ce spectacle – probablement Petit Eyolf d’Ibsen – que Thierry se souvient avoir vu avec sa mère. À le faire resurgir sur scène. Non pas tel qu’il était. Mais tel que s’en souvient Thierry, et d’après ce que sa mère lui disait à l’oreille de ce qui se passait sur scène. C’est donc Thierry le maître du jeu. Épatant de maîtrise, de rythme, de précision – bravo à lui et au travail de direction d’acteurs -, il développe un récit où la fiction prend progressivement le dessus. Les motifs chers à Lorraine de Sagazan – les relations de couple, la place du père, le mélange réalité-fiction – s’y entrelacent ainsi de manière de plus en plus serrée. Comme avec Ibsen, Tchekhov ou Noren, auteurs qu’elle affectionne particulièrement, la metteuse en scène utilise ici le théâtre dans sa capacité à représenter le réel tout en donnant accès à des mondes cachés. Dans une mise en scène simple, dépouillée, où les changements d’énonciation – allers-retours du témoignage au théâtre dans le théâtre – se font avec fluidité, se développe ainsi un spectacle touchant et original, où l’illusion du vrai côtoie avec bonheur la plus grande théâtralité. Avec Thierry Sabatier, la figure de l’aveugle s’y fait voir, avec humour et distance, puis progressivement se laisse oublier. Car l’amateur joue comme un pro et le théâtre fait de nous tous, voyants ou non, des personnages de nos vies. All the world’s a stage, voyants et aveugles n’en sont que les acteurs.

Eric Demey

A propos de l'événement

La vie invisible
du mardi 4 janvier 2022 au vendredi 14 janvier 2022
Espace Cardin - Théâtre de la Ville
1 avenue Gabriel 75008 Paris

à 20h. Tél : 01 42 74 22 77. Durée : 1h. Spectacle vu à Saint-Jean-en-Royans.

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